Ils n’ont emporté que le strict nécessaire, afin de ne pas alourdir l’embarcation. Mais le strict nécessaire quand on s’apprête à tout recommencer ailleurs, c’est beaucoup. Des vivres pour le voyage, différents plants de végétaux, comme la patate douce, des animaux, et surtout les dieux, présents dans ces réceptacles que sont les objets de culte, les coiffes, les capes de tapa et les bijoux, tous investis du mana, l’efficacité sur la nature, les choses et les êtres que les dieux accordent aux chefs.
On arrivera à bon port grâce à eux. Grâce surtout aux extraordinaires qualités de marins de ces Polynésiens, capables de retrouver leur chemin dans le grand vide du Pacifique, piqueté d’îles comme le ciel d’étoiles. C’est en associant les unes aux autres qu’ils se repèrent : Sirius brille au-dessus de Tahiti, un autre astre éclaire Rapa Nui, mais à un temps différent de la nuit. Sans boussole ni astrolabe, avec la voûte céleste comme carte de navigation, ils arrivent à celle que l’on ne nomme pas encore l’île de Pâques. Nous sommes vers 900 ou 1000 de notre ère, Rapa Nui est la seule île de Polynésie à demeurer inhabitée. Baignée de courants froids, parcourue par des vents dominants venus de l’ouest qui contrarient la navigation vers les autres îles de Polynésie et la dissémination des graines, Rapa Nui, avec ses hautes falaises et ses eaux sombres, ne peut guère prétendre au titre de paradis terrestre.
Malgré tout, ceux qui vont devenir les Pascuans s’y installent, par choix ou nécessité. Combien sont-ils ? Une cinquantaine ? Une centaine ? Combien manquent à l’appel, engloutis par l’océan à la faveur d’une tempête ? Pourquoi ont-il fui si loin, jusqu’à cette extrémité froide de la Polynésie, située à plus de 2000 km2 de la plus petite de ses consoeurs ? Le nom pascuan de l’île, qui signifie la Grande Rapa, pourrait rappeler une Petite Rapa, abandonnée dans les îles Australes, mais rien n’est moins sûr.
De nombreuses plantes, adaptées à des latitudes plus clémentes, succombent. Quelques unes résistent et s’acclimatent, grâce aux soins constants des hommes. Ils se partagent ce territoire grand comme Paris et ses abords suivant un plan rayonnant, afin que chaque tribu dispose à la fois de terres cultivables et d’un accès à la mer pour pêcher. Ce sont les os des pêcheurs renommés qui fournissent la matière première des hameçons, la paroi des quelques espèces de mollusques endémiques étant trop fine. Ainsi se garantit-on l’abondance des prises.
Quand ils ne plongent pas dans l’océan, les os des ancêtres le regardent, depuis l’étroite bande côtière en bordure des falaises. Ils blanchissent et se dépouillent de leurs chairs inertes en contrebas de l’ahu, l’enceinte sacrée, podium de pierre des moai taciturnes, le dos obstinément tourné contre la mer. Leurs regards portent vers l’intérieur de l’île, sur ses trois volcans, en particulier vers le Rano Raraku qui cache l’entrée du monde des dieux et des ancêtres, le po.
Les moai sont faits de sa sombre roche volcanique. Certains dorment encore dans son giron, marquant par leur présence le caractère sacré du lieu. Leurs dimensions titanesques leur interdisent à jamais de se lever : 22 mètres de haut et 207 tonnes pour le plus imposant de ces colosses assoupis. D’autres se tiennent debout, excroissances verticales du volcan, sentinelles qui gardent le passage vers l’autre monde les yeux grand-ouverts.
La proximité entre le monde des hommes et celui, sombre et souterrain, des dieux et des ancêtres, n’a jamais été aussi tangible que sur cette île au sous-sol parcouru de tunnels laissés par des coulées de lave depuis longtemps refroidies. Les Pascuans campent aux portes de l’autre monde, à l’extrême bord du Pacifique habité.
Est-ce la finesse de cette frontière que marque la présence obsédante des moai monumentaux, dont le nom complet signifie « représentations au visage vivant »? Cette vie qui les habite, n’est-ce-pas celle d’un ancêtre, d’un phénomène naturel divinisé ou d’un des nombreux dieux, mineur ou majeur, du prolifique panthéon Polynésien ?
Suite et fin le 13 Février...
En attendant, allez donc voir l'expo que la Fondation EDF consacre à Rapa Nui : c'est documenté, pédagogique, illustré par de belles pièces...Et en plus gratuit!
Jusqu'au 1er Mars 2009, tlj sauf lundi de 12h à 19h au 6 de la rue Récamier dans le 7ème.
Sauf mention contraire, toutes les photos sont tirées de l'excellent catalogue d'expo Polynésie, Arts et Divinités 1760-1860 rédigé par Steven Hooper (ed. RMN/ Musée du Quai Branly). Des pieces similaires sont présentées à l'expo de la Fondation EDF.
J'adore les jolies histoires... vivement la suite...
RépondreSupprimerJolie sans doute, mais terrible aussi...Habiter sur Rapa Nui ça n'est pas exactement reposant!
RépondreSupprimerMais bon, j'aimerais bien y aller.
ça m'a l'air passionnant cette expo ! Il faut que j'y aille un de ces jours.
RépondreSupprimerN'hésite pas!
RépondreSupprimerEn plus d'être passionnant, c'est très dépaysant...
Waw, je peut pas louper l'expo sur les Rapa nui. Depuis le temps que j'ai envi d'en voir une !
RépondreSupprimerMerci pour l'info Gab