Les voyages d’affaires sont appelés ainsi par opposition aux voyages d’agrément : tout est dit. Seule consolation pour celui qui les entreprend, être autorisé, voire incité, à prendre un taxi, afin de rejoindre au plus vite son bureau d’adoption.
L’employeur sait qu’ainsi son collaborateur arrivera aussi frais et dispos que le poisson à la criée, prêt à travailler –et hop ! dans la poêle. Ce qu’il n’a en revanche pas besoin de savoir, c’est que le voyage en taxi – car c’en est un – peut s’avérer dépaysant.
Encore faut-il réunir deux conditions : tomber sur un chauffeur passablement loquace, très amoureux de sa ville et baragouiner soi-même un peu la langue du coin.
Le colisée vu de l'intérieur, sans Bruce Lee ni Chuck Norris, mais avec les structures souterraines de l'arène.
Tout récemment j’ai ainsi eu droit au « giro turistico » de Rome pour le prix de la course normale, l’ennuyeux aéroport-bureau. Et honnêtement, même si ça avait été quelques euros plus cher, « chi se ne frega ? »*
D’emblée le chauffeur me tutoie, tout en s’excusant toutes les deux minutes de ne pas parvenir à me vouvoyer. Je suis donc bien en Italie. Il faut quand même attendre d’avoir dépassé le no man’s land de l’aéroport de Fiumicino (dont maintes valises ne sont jamais revenues) pour en être sûr.
Alors, annoncée par les tonalités rouge brique et vert sombre des constructions, la campagne romaine fait timidement son apparition. Les pins parasol font leur entrée, identiques à ceux peints par Fragonard, Hubert Robert et plus tard Valenciennes. Malheureusement, cela fait belle lurette qu’ils n’ombragent plus des fabriques ou des bergers et leurs troupeaux. Ils se sont réfugiés sur les étroites bandes de gazon qui séparent l’autoroute des zones industrielles et des bureaux.
Alors, annoncée par les tonalités rouge brique et vert sombre des constructions, la campagne romaine fait timidement son apparition. Les pins parasol font leur entrée, identiques à ceux peints par Fragonard, Hubert Robert et plus tard Valenciennes. Malheureusement, cela fait belle lurette qu’ils n’ombragent plus des fabriques ou des bergers et leurs troupeaux. Ils se sont réfugiés sur les étroites bandes de gazon qui séparent l’autoroute des zones industrielles et des bureaux.
La coupole de Saint-Pierre
L'alternance monotone d'hôtels et de stations-services est tout à coup brisée par un dôme appuyé sur un volume cubique, qui émerge d’un bosquet. Surgissent alors les églises à plan centré de la Renaissance, comme la toscane Montepulciano, les dessins de Léonard, l’adaptation du plan à Saint-Pierre et la diffusion du modèle de l’église à coupole d’un bout à l’autre de Rome et jusqu’au Nouveau Monde.
L'église San Biagio à Montepulciano,
par Antonio da Sangallo l'Ancien
(copyright F. et Y. Pauwels-Lemerle, L'architecture à la renaissance, "tout l'art", Flammarion)
par Antonio da Sangallo l'Ancien
(copyright F. et Y. Pauwels-Lemerle, L'architecture à la renaissance, "tout l'art", Flammarion)
Cette simple superposition de volumes porte en elle toute cette histoire, qui se jette sur le passager, l’assaille et se retire en un instant, si vite évanouie dans le rétroviseur.
Les coupoles de Rome depuis la Villa Médicis
Elle laisse place à plus grand et plus dérisoire, le fameux Palais de l'Etat et du Travail érigé par Mussolini à la gloire du génie italien, toutes disciplines confondues. Le chauffeur m’apprend que toute la zone fut construite en prévision de l’Exposition Universelle de Rome qui aurait dû avoir lieu en 1942. Edifié sur une butte qui domine un parc d’attractions désaffecté, le Colisée Carré, comme on le surnomme, n'attire pas les foules. Il a un air de statue d’autoroute, ou de ruche géante avec des arches en guise d’alvéoles. Six en vertical pour les six lettres du prénom Benito, et neuf en horizontal pour les neuf lettres de…Mussolini, toujours selon le taxi. L’explication manque suffisamment de subtilité pour être vraisemblable.
Le "colisée carré", 1942, par les architectes Guerri, Lapadula et Romano
C’est un monument mythique au sens étymologique : souvent reproduit dans les livres d’histoire, voire d’histoire de l’art, mais jamais vu, ou si mal, si vite depuis la bretelle d’autoroute. C’est également un anti-colisée, qui exalte la gloire d’un homme sous couvert de louer le génie d’un peuple.
Parfois l’urbanisation effrénée fait bien les choses, en créant des limbes architecturaux qui tiennent lieu d’exemple à tous les Mussolini au petit pied : voilà le sort que la postérité réserve à leurs rêves de grandeur.
La voiture continue sa course, et Rome, la vraie, se rapproche. Nous dépassons d’abord Saint-Paul-hors-les-Murs, puis les restes du mur d’Aurélien. Soudain le taxi déboule sur une route qui fait face aux jardins Farnèse, au sommet du Palatin. « Voilà l’endroit où Rome est née, l’endroit où Romulus et Remus ont bu le lait de la louve ! », s’exclame inopinément le chauffeur.
Le pouvoir de Rome, c’est cela : même sur la banquette d’un taxi, en route vers une boîte mails qui déborde et des piles de dossiers, on est sur le Mont Palatin avec les jumeaux de Rhéa Silvia et du dieu Mars…
Et cela justifie tous les voyages supposément d’affaires, bien mieux que les synergies imaginaires.
Et cela justifie tous les voyages supposément d’affaires, bien mieux que les synergies imaginaires.
La louve du Lupercal allaitant Romulus et Remus (la louve est antique, du VIème avt JC, mais les marmots datent du XVème)
Les chauffeurs de taxis sont les véritables portes des villes modernes, pas les panneaux muets à l’entrée du périphérique, ni les moignons de briques fondues qu'enserrent les boulevards romains.
Finalement la course n’est pas si chère, même quand il n’y a pas un dispendieux patron pour payer la note de frais.
* en (mauvais) français : « on s’en tape ! »
Le colisée, et un authentique gladiateur.
Ah Bruce & Chuck dans le Colisée... un des plus grand moment du ciné... avec le cris du chaton...
RépondreSupprimerEt tous ces touristes qui viennent en pélerinage...et pas une pancarte pour indiquer l'endroit exact du combat!!!
RépondreSupprimerEt Dieu sait que j'ai cherché...
RépondreSupprimerSur l'interprétation du colisée carré au nombre d'or mussolinien, je me dis que plus c'est gros plus on y croit. En tout cas c'est une légende intéressante (Berlusconi doit en rêver). Quand on voit le titanesque monument de Vittorio Emanuele II au pied du capitole, on se dit qu' il sied tristement bien aux anciens défilés du parti fasciste.
RépondreSupprimerJ'aime bien l'approche des villes en taxi moi aussi, ou en bus quand on est pas trop pressé. Je me demande si les touristes qui débarquent à Paris ont le droit à "j'passe pas par la place d'Clichy, a ct'heure ci c'est l'bordel": parce que ça aussi c'est de l'exotisme!
C'est sûr, la place de clichy doit être exotique elle aussi! quant au moulin rouge pas loin, il doit déclencher des exclamations jubilatoires chez les touristes ...
RépondreSupprimerEt place de clichy, y a le meilleur "Quick hamburger restaurant" de la région!!!
RépondreSupprimerLorenzo, tu crains...
RépondreSupprimer"hamburger restaurant", huhu
RépondreSupprimerJe viens de commencer a parcourir ton blog. C´est joli et les photos sont tres belles.
RépondreSupprimerA tres bientot
Elisa, Argentine