lundi 31 août 2009

Le jour de l'italienne (pas la fille...)


Paris au mois d’août : le macadam bouillant sur lequel ne marchent plus que des pigeons, les magasins qui ferment les uns après les autres, rendant chaque semaine plus hasardeuse la quête du sandwich de midi, les téléphones qui sonnent dans le vide…Heureusement il reste encore un peu de vie dans ce grand corps amorphe, car la culture ne dort jamais vraiment !

Jusqu’au 8 septembre, les comédiens de la compagnie Eulalie jouent au théâtre de l’œuvre le jour de l’italienne, une création collective qui nous montre comment une pièce – en l’occurrence L’épreuve de Marivaux - prend peu à peu forme, au fil des répétitions.
C’est ingénieux, drôle et enlevé. Chaque spectateur se voit remettre en entrant un petit lexique du jargon des théâtreux, plein d’humour et d’autodérision. Le sujet, original, évite intelligemment le double écueil de la caricature et du didactisme. Pas de leçon de théâtre ni de divas capricieuses. Le spectateur a en face de lui des acteurs qui jouent des acteurs répétant leur rôle, mais tout est fait pour que cette mise en abyme passe inaperçue, et créer l’illusion d’une véritable répétition. Les acteurs sont déjà là quand le public entre dans la salle, allant et venant sur scène, se saluant ou échangeant quelques mots comme au matin de la première répétition. Les noms des acteurs de la pièce sont ceux des comédiens qui les interprètent.

La gestion du temps est également intéressante : comment condenser plusieurs mois de répétition en 1h10 de spectacle, en créant de plus un fil narratif ? Le défi est relevé, avec des accélérations cinématographiques au son d’une bande qu’on rembobine, des intermèdes en forme d’apartés où les acteurs donnent leur vision du personnage qu’ils jouent dans la pièce de Marivaux et la question lancinante de l’éclairagiste : « C’est quoi pour toi le bruit du temps qui passe ? ». Les réponses qu’il obtient sont aussi variées que farfelues.

Entre deux vannes et un crêpage de chignon, on assiste à des passages de Marivaux magnifiquement joués comme ce vertige autour d’Angélique, dont tous les personnages attendent qu’elle parle pour accepter ou rejeter le prétendant qu’on lui propose.

Bref, un spectacle revigorant qui met à nu la cuisine interne de la pièce, le travail d’acteur et de metteur en scène, via un double mouvement d’observation de soi et de mise à distance. Pour ne rien gâcher le théâtre de l’œuvre, intimiste et confortable, est bien agréable.

lundi 17 août 2009

Le Louvre pendant la guerre

Il se passe toujours quelque chose au Louvre, même en août. Jusqu’au 31, les photos exposées dans la salle de la maquette nous montre un visage méconnu du Louvre, celui du musée sous l’occupation.


Aux prises avec la Vénus de Milo, L. Albin-Guillot ?

C’est une expo qui se place à la confluence de la grande Histoire, de l’histoire des collections et de l’histoire matérielle de l’art. On y prend pleinement conscience que les œuvres d’art sont avant tout des objets, soumis comme les hommes aux aléas des évènements. Ce vécu des œuvres – ce que Daniel Arasse appelait « le troisième temps » * des œuvres , le laps de temps qui s’est écoulé entre le moment de leur création et celui où nous les regardons – est particulièrement sensible devant la carte de France qui retrace le parcours des « réfugiés picturaux » du val de Loire en Aveyron, puis du musée Ingres de Montauban jusqu’aux châteaux du Lot, à mesure que les allemands se rapprochent. La grande majorité des peintures du musée, soit 3 691 tableaux, a ainsi connu une vie itinérante entre 1939 et 1945, dans des conditions parfois spartiates : un des clichés montre un Rubens de la galerie Médicis transporté avec son cadre dans une banale fourgonnette, un autre la Liberté guidant le Peuple portée par quatre hommes, dont un n’a pas pris la peine d’éteindre sa cigarette !

Un certain nombre de photographes, anonymes, mandatés par le musée ou indépendants, Français, Allemands ou Hongrois, ont témoignés par leurs clichés des grands bouleversements qu’a connus le Louvre durant ces 6 années.
Certaines photos humanisent les œuvres, comme Aux prises avec la Vénus de Milo de Laure Albin-Guillot qui montre une Vénus de Milo tripotée par des installeurs qui cherchent des prises pour la déplacer, tandis que dans sa Conversation entre antiques les statues placés les unes à côté des autres semblent discuter.
Marc Vaux en 1939 puis Pierre Jahan en 1944 prennent eux le parti de la théâtralisation. Le premier présente une Victoire de Samothrace suspendue à son palan comme à une machinerie baroque, prête à s’envoler pour de bon. Le second s’attache lui au chemin de planches ménagé le long de l’escalier Daru afin de la replacer sur son socle.

La Grande Galerie abandonnée, Marc Vaux

Puis c’est l’absence des œuvres. Marc Vaux photographie la Grande Galerie désertée par les tableaux et les visiteurs. Les cadres sont posés sur le sol, comme tombés là. Les cordons ne gardent plus rien. La chimère d’Hubert Robert d’un musée en ruine semble être en passe de se réaliser. Le Rembrandt abandonné de Pasi représente la salle des Rembrandt où ne restent plus que les cadres et le nom des œuvres écrit à la craie, comme si le Louvre était devenu un musée imaginaire, une vue de l’esprit.

Mais la plupart des sculptures, trop imposantes et fragiles, n’ont pas pu fuir. Dès septembre 1940 les dignitaires de l’armée d’occupation visite ce Louvre amoindri. Le cliché pris lors du discours de Wolff-Meternich, responsable du Kunstschutz, le service de protection des arts, rend visible la tension de Jacques Jaujard, directeur des Musées Nationaux, droit et noir comme à un enterrement. Le malaise est tout aussi sensible sur la photo où l’on voit Alfred Merlin, conservateur des Antiques, chapeau melon entre les mains, donner quelques mots d’explication à un allemand botté et casquetté, visiblement distrait.
Bientôt un parcours de visite est organisé, qui évite soigneusement les espaces vides, qui semblent narguer les allemands. La Joconde, alias LP0, est partie depuis longtemps dans sa caisse ignifugée marquée de trois points rouges.

La femme à la craie des soldats allemands, A. Séarl

Les années passent et la fortune tourne, jusqu’à la libération de Paris. Du 26 au 29 août 1944 la cour carrée sert de prison pour des soldats allemands. Certains l’avaient peut-être visitée quelques temps plus tôt, lors d’une permission. Pour tromper l’ennui, ils dessinent à la craie une femme nue sur un mur, agenouillée en prière, pas si éloignée des antiques qui se trouvent de l’autre côté de la fenêtre. Les peintures reviendront les unes après les autres, et ne seront au complet qu’en 1947.

*In Histoires de peintures, folio essais, Paris, 2007, p.227.

Toutes les photos sont extraites du catalogue d'expo, Le Louvre pendant la guerre, dir. G. Fonkenell.

lundi 3 août 2009

Heureux qui comme Ulysse



Il y a les voyages qui ne sont que des déplacements, ceux que l’on fait par habitude, chaque année identiques menant à une destination immuable, ceux que l’on fait par curiosité, pour vérifier que l’herbe est verte ailleurs aussi ou pour avoir le plaisir le regarder glisser le paysage. Et puis il y a les grands voyages. Quand on s’en va loin et pour longtemps. Ces voyages-là sont longuement mûris, ils sont le fruit d’un intérêt développé peu à peu, souterrainement, sans qu’on y prenne garde. Un jour le besoin de partir devient impérieux. Faire ce voyage vite, aujourd’hui, maintenant. De ces voyages-là, on ne revient pas reposé, content, satisfait. On en revient séduit ou désabusé selon que le pays réel a déçu ou dépassé les espérances qu’on mettait égoïstement en lui.

Car le pays moderne s’impose toujours au voyageur, crie bruyamment « j’existe ! » pour tenter de dissiper les mirages littéraires, mythologiques et artistiques. Mais écouter le premier, c’est risquer de laisser se dissoudre le second. Il y a des lieux qui ont trop changé, qui ont été trop investis depuis des siècles pour que le voyageur puisse les reconnaître.

Heureusement, il existe un remède à cette déroute. On connaissait la collection « Le goût de » (l’Inde, la Sicile, Naples, etc..), vision kaléidoscopique d’un pays ou d’une ville par les yeux de différents écrivains. Il y a maintenant – depuis quelque temps déjà en fait- la collection « Heureux qui comme… » des éditions Magellan & Cie. Un voyage dans l’espace mais aussi dans le temps, dans les bagages d’un écrivain baladeur, homme de lettres reconnu ou improvisé pour l’occasion. Un voyage pour une poignée d’euros, qui rend les mirages, les vieilles légendes et les forêts impénétrables un peu plus denses, capables de se tenir au soleil sans fondre même à cent ans d’écart. Des livres qui enseignent aux yeux à chercher les traces de la vieille histoire, comme ce graffiti de Désiré Charnay, toujours visible sur la pierre du palais de Palenque. Signe que le pays moderne sait aussi se souvenir.