Il se passe toujours quelque chose au Louvre, même en août. Jusqu’au 31, les photos exposées dans la salle de la maquette nous montre un visage méconnu du Louvre, celui du musée sous l’occupation.
C’est une expo qui se place à la confluence de la grande Histoire, de l’histoire des collections et de l’histoire matérielle de l’art. On y prend pleinement conscience que les œuvres d’art sont avant tout des objets, soumis comme les hommes aux aléas des évènements. Ce vécu des œuvres – ce que Daniel Arasse appelait « le troisième temps » * des œuvres , le laps de temps qui s’est écoulé entre le moment de leur création et celui où nous les regardons – est particulièrement sensible devant la carte de France qui retrace le parcours des « réfugiés picturaux » du val de Loire en Aveyron, puis du musée Ingres de Montauban jusqu’aux châteaux du Lot, à mesure que les allemands se rapprochent. La grande majorité des peintures du musée, soit 3 691 tableaux, a ainsi connu une vie itinérante entre 1939 et 1945, dans des conditions parfois spartiates : un des clichés montre un Rubens de la galerie Médicis transporté avec son cadre dans une banale fourgonnette, un autre la Liberté guidant le Peuple portée par quatre hommes, dont un n’a pas pris la peine d’éteindre sa cigarette !
Un certain nombre de photographes, anonymes, mandatés par le musée ou indépendants, Français, Allemands ou Hongrois, ont témoignés par leurs clichés des grands bouleversements qu’a connus le Louvre durant ces 6 années.
Certaines photos humanisent les œuvres, comme Aux prises avec la Vénus de Milo de Laure Albin-Guillot qui montre une Vénus de Milo tripotée par des installeurs qui cherchent des prises pour la déplacer, tandis que dans sa Conversation entre antiques les statues placés les unes à côté des autres semblent discuter.
Marc Vaux en 1939 puis Pierre Jahan en 1944 prennent eux le parti de la théâtralisation. Le premier présente une Victoire de Samothrace suspendue à son palan comme à une machinerie baroque, prête à s’envoler pour de bon. Le second s’attache lui au chemin de planches ménagé le long de l’escalier Daru afin de la replacer sur son socle.
Puis c’est l’absence des œuvres. Marc Vaux photographie la Grande Galerie désertée par les tableaux et les visiteurs. Les cadres sont posés sur le sol, comme tombés là. Les cordons ne gardent plus rien. La chimère d’Hubert Robert d’un musée en ruine semble être en passe de se réaliser. Le Rembrandt abandonné de Pasi représente la salle des Rembrandt où ne restent plus que les cadres et le nom des œuvres écrit à la craie, comme si le Louvre était devenu un musée imaginaire, une vue de l’esprit.
Mais la plupart des sculptures, trop imposantes et fragiles, n’ont pas pu fuir. Dès septembre 1940 les dignitaires de l’armée d’occupation visite ce Louvre amoindri. Le cliché pris lors du discours de Wolff-Meternich, responsable du Kunstschutz, le service de protection des arts, rend visible la tension de Jacques Jaujard, directeur des Musées Nationaux, droit et noir comme à un enterrement. Le malaise est tout aussi sensible sur la photo où l’on voit Alfred Merlin, conservateur des Antiques, chapeau melon entre les mains, donner quelques mots d’explication à un allemand botté et casquetté, visiblement distrait.
Bientôt un parcours de visite est organisé, qui évite soigneusement les espaces vides, qui semblent narguer les allemands. La Joconde, alias LP0, est partie depuis longtemps dans sa caisse ignifugée marquée de trois points rouges.
Les années passent et la fortune tourne, jusqu’à la libération de Paris. Du 26 au 29 août 1944 la cour carrée sert de prison pour des soldats allemands. Certains l’avaient peut-être visitée quelques temps plus tôt, lors d’une permission. Pour tromper l’ennui, ils dessinent à la craie une femme nue sur un mur, agenouillée en prière, pas si éloignée des antiques qui se trouvent de l’autre côté de la fenêtre. Les peintures reviendront les unes après les autres, et ne seront au complet qu’en 1947.
*In Histoires de peintures, folio essais, Paris, 2007, p.227.
Toutes les photos sont extraites du catalogue d'expo, Le Louvre pendant la guerre, dir. G. Fonkenell.
Chouette compte rendu de cette expo qui nous fait découvrir ce lieu sous un jour inédit...
RépondreSupprimerOui, un chapitre méconnu de l'histoire du Louvre...
RépondreSupprimerJe n'ai pas vu les autres photos, mais ton choix est parlant (la 2ème est terrible). Ca m'a l'air bien intéressant dis, merci pour le compte rendu.
RépondreSupprimerEt encore je n'ai pas choisi les photos les plus sensationnelles!
RépondreSupprimerC'est une expo passionnante et qui fait un peu froid dans le dos en même temps...