dimanche 27 septembre 2009

Embuscades au Louvre : les Souffleurs, commandos poétiques



Vingt-cinq souffleurs vêtus de noir surgissent discrètement dans la cour Marly ou Puget, ouvrent en choeur leur grand parapluie, aussi silencieusement qu’ils sont apparus. Cela marque le début d’une bien curieuse représentation. Munis d’un éventail noir et d’un long tube en carton et fibres de verre, le rossignol, les souffleurs se glissent alors entre les sculptures pour surprendre les visiteurs et leur chuchoter des poèmes. Assis sur un banc ou une marche, l’oreille collée au rossignol, ces derniers se retrouvent brusquement coupés du monde, suspendus à une voix inconnue qui murmure des textes sur la lumière, des jardins, des fenêtres… Une voix qu’on écoute sans pouvoir la voir, à l’autre bout du rossignol, et qui assourdit les bruits du musée. Dans ce temps suspendu ne subsistent que les sculptures et les jeux du soleil se couchant sur les arcades.


À la fin de son « embuscade » le souffleur déplie d’un coup sec son éventail comme s’il marquait la fin d’une séance d’hypnose. De ces secrets murmurés au creux de l’oreille, rien n’a été divulgué à l’avance, pas même aux organisateurs du musée. Ravissement sans violence des visiteurs surpris, ces « embuscades » touchent à l’intime. Une éphémère relation se noue entre le souffleur et le visiteur à qui il chuchote un secret à l’oreille, comme une amie ou un amant. Au lieu d’être un obstacle, le rossignol rend curieusement la voix plus proche, plus présente. L’envie mêlée d’appréhension que le visiteur sent fugitivement monter en lui tandis que le souffleur le prend par le bras pour le guider jusqu’à un banc rappelle celle d’un premier rendez-vous, celle d’un enfant qui déballe un paquet surprise ou encore celle que créerait une apparition. Car ces souffleurs noirs au milieu des sculptures de marbre blanc, la bouche pleine d’étranges paroles, ne semblent pas respirer le même air que nous, ni vivre sous la même lumière.


Ces « commandos poétiques », comme ils se présentent, procèderont à une nouvelle « tentative de ralentissement du monde » vendredi 2 octobre dans l’aile Richelieu du musée du Louvre, à partir de 19h (entrée gratuite avec le billet du musée).

Pour vous faire patienter jusque-là, je les laisserai définir eux-mêmes leur démarche :

« Les Souffleurs s’inscrivent dans l’évidence du clignotement général du monde,
usent de la nécessité du droit d’irruption poétique
et pratiquent l’art contre le divertissement,
l’essentiel contre le stratégique
et le jubilatoire contre le conventionnel. »

Et merci à Lorenzo pour les crobards...

jeudi 24 septembre 2009

“Vraoum!” la bande dessinée fait une entrée discrète dans le monde de l’art

Gilles Barbier, Hospice

Au rayon expos de BD se terminant le 27 septembre, après Tarzan au quai Branly parlons brièvement de Vraoum ! à la Maison rouge (bvd Bastille).
L’expo cherche à mettre en évidence les relations entre bédé et art contemporain afin de faire ressortir l’influence de la première sur le second et de faire accéder la BD au rang d’art (ni mineur ni populaire, art tout court, m’enfin !). Sans être révolutionnaire, le propos ne va pas encore de soi et le point fort de cette expo est de présenter des planches qui n’ont pas besoin de longs discours pour convaincre le visiteur. D’autant plus que les œuvres d’art contemporain paraissent par comparaison un peu creuses.
A quelques notables exceptions près cependant. Il convient de mentionner un dessin de Popeye par Basquiat ainsi que le travail de Jochen Gerner, qui révèle ou fait émerger de nouvelles significations des planches de Tintin en Amérique ou d’une vieille carte scolaire de l’Afrique. A l’autre bout de l’expo, Gilles Barbier soumet les super-héros de son enfance aux outrages du temps qui passe, à son regard d’enfant devenu adulte. Cet Hospice (2002), c’est aussi une Amérique vieillissante, qui n’est plus bien sûre de gagner la partie, comme ce Captain America sous perfusion ou ce Superman en déambulateur.


Winsor McCay, Little Nemo in Slumberland

Côté bédé, ils sont venus, ils sont (presque) tous là. Winsor McCay et son Little Nemo in Slumberland tout d’abord, des planches somptueuses qui plongent le lecteur dans un univers onirique singulier, au dessin clair guidé par une peur du vide digne des arts décoratifs les plus proliférants. Autre pièce exceptionnelle, une planche crayonnée d’Hergé dont les marges sont envahies de croquis des éléments qui lui ont donné du fil à retordre, une panthère et…un couvercle de plat. Cette planche est inestimable à plus d’un titre : énergie du trait qui cherche, hésite, comme sur le costume de la Castafiore (sujet inépuisable), certitude qu’aucun assistant n’est venu achever le dessin, vie anarchique du miroir de page...
Comme il est impossible de passer en revue tous les trésors de papier de cette expo et parce que le mieux est encore d’aller les admirer, je terminerai en citant deux strips des Peanuts de Charles M. Schulz, lisibles malgré les griffures d’encre de la pluie battante, ainsi que le mouvement arrêté d’une planche de Lady Snowblood de Kamimura.
Crac, boum, wizz ! comme disait l’autre.

Les images sont tirées du dossier de presse de la Maison Rouge.

lundi 21 septembre 2009

Tarzan, ou comment porter le slip léopard avec chic et décontraction...



Le plus célèbre porteur de slip léopard de la littérature, de la bande dessinée, du cinéma et de la publicité a posé ses lianes au quai Branly jusqu’au 27 septembre.

L’expo retrace les origines, l’apogée et la fortune de ce rejeton/ancêtre de Rahan dont les premières aventures parurent en 1912 sous la plume d’Edgar Rice Burroughs. Des animaux empaillés et des extraits de films ponctuent le parcours. De gorille en antilope et de lion en crocodile on apprend que le jeune Edgar fut fortement impressionné par l’exposition universelle qui eut lieu à Chicago en 1893, ainsi que par un certain culturiste, M. Sandows, qui portait un slip à motif léopard, le premier sandows…



S’il rappelle Mowgli ou les fils de la louve Romulus et Remus tout en empruntant sa musculature à Hercule, le Tarzan de Burroughs est ancré dans son époque. Certains passages des romans sont du Darwinisme de la plus belle eau, à une époque où ses théories étaient encore décriées. Tarzan c’est le gentleman sauvage, le polyglotte en pagne, plus à l’aise auprès des animaux de la forêt que parmi ses hypocrites et cupides semblables.

C’est une belle expo, malgré quelques gadgets très contemporains qui n’apportent pas grand-chose, comme la figurine du Tarzan de Disney. Les planches de bande dessinée surtout sont somptueuses. Burne Hogarth, Hal Foster et Joe Kubert sont bien sûr présents, mais également des dessinateurs moins connus comme Rex Maxon, qui a réalisé plus de 5200 strips mettant en scène Tarzan!


A travers Tarzan, c’est toute une époque qui revit, son exotisme de pacotille, ses fantasmes et ses peurs – Sheena la femme tigre, aussi belle que cruelle, les Grands Singes enleveurs de femmes blanches mais aussi les terrifiants hommes léopards inspirés de véritables sociétés secrètes d’Afrique de l’Ouest. L’expo évoque notamment ce singe dressé à fumer le cigare et à conduire une petite voiture, coqueluche du Paris du début du XXème siècle.
Les planches sont illustrées de boucliers et costumes africains, mais également de couvertures de « faux » Tarzan, plus ou moins réussis, tous assez drôles.
Au fil des années les thématiques évoluent et Tarzan prend des accents écolo, mène la vie dure aux braconniers et aux trafiquants en tout genre. C’est l’occasion d’exposer un terrible tabouret qui n’est autre qu’une patte d’éléphant…Sinistre déco coloniale, qu’on espère passée de mode!

dimanche 13 septembre 2009

Parcours des mondes 2009 : plein les mirettes pour pas un sous !

Hochet de Chaman, Canada/ Masque de danse, Papouasie Nvelle Guinée

Une fois n’est pas coutume, parlons d’un événement qui s’est achevé ce week-end : l’édition 2009 du Parcours des mondes, i.e. une soixantaine de galeries parisiennes et étrangères ouvrant leurs portes ou prenant leurs quartiers chez leurs hôtes français pour exposer leurs plus beaux chefs d’œuvre d’arts non occidentaux.
Outre la qualité des pièces, la forme prise par ce salon international des arts premiers était une raison supplémentaire d’y faire un tour : des grappes de galeries le long de quelques rues du 6ème arrondissement incitaient le visiteur à une promenade en forme de cabotage, de statue Dogon en reliquaire Kota, de pagaie des îles Australes en céramique précolombienne, parfois réunies au sein d’une même galerie, dans un désordre étudié digne d’une chambre des merveilles. Défi inespéré pour l’oeil, qui s’amuse à essayer d’identifier les oeuvres le plus finement possible. Un après-midi n’est pas de trop pour visiter toutes les galeries. On termine la journée avec une farandole d’œuvres qui défilent sous les paupières, certaines nettes, d’autres confuses.

Citons quelques pièces exceptionnelles, même si à cet instant plusieurs ont déjà retrouvé leurs pénates loin de la Seine : un reliquaire de crâne en forme de poisson provenant des îles Salomon, un boli*, une sculpture Batak en pierre représentant un ancêtre chevauchant le serpent cornu, dieu du monde souterrain, un moai kava kava** de 50 cm de haut…


Reliquare Kota (Gabon), statue Sénoufo (Côte d'Ivoire), masque Inuit et Guanyin (Yunnan)

Mentionnons également deux curiosités. La première est un vase à anse-goulot en étrier, appartenant à la civilisation andine de Chavin de Huantar (900/200 av JC). La céramique Chavin se caractérise par ses sévères teintes sombres et son iconographie inquiétante et agressive, qui fait la part belle aux crocs et autres attributs du jaguar. Or c’est bien un facétieux petit singe s’accrochant avec souplesse au goulot d’un vase couleur rose pâle qu’exposait la galerie.

La seconde curiosité, c’est un fétiche de la galerie madrilène Arte y Ritual, formée d’une tête de poupée en porcelaine qu’enserrent une série de griffes, le tout étant maintenu ensemble par des liens de fibres, dont les nœuds ont également une fonction symbolique, celle de contrôler la puissance magique du fétiche. Cet objet étrange, mélange surréaliste de fragilité, de douceur et de violence, semble être sur le point de se dévorer lui-même.
Fétiche "à la poupée"

Un salon comme le Parcours des mondes a par ailleurs le mérite de mêler à la faune habituelle des galeries des amateurs de beaux objets et de simples curieux, parfois venus en famille. Même s’il s’agit malgré tout d’un public plus ou moins averti il est plus aisé de franchir le seuil des galeries à l’occasion de ces journées, qui ressemblent à un vernissage géant, ouvert sur la ville au moyen de petits panneaux et de paillassons de feutrine jaune. C’est également l’occasion de constater qu’il y a galeriste et galeriste. Il y a en effet un monde entre l’expert d’art mélanésien sortant de sa réserve un petit tambour sous le bras et une anecdote sur les conditions de sa découverte aux lèvres, et celui qui égrène les prix auxquels se sont vendus des œuvres similaires lors des dernières ventes aux enchères. Et de conclure devant le client hésitant : « c’est le moment d’investir, les prix vont monter… ». Rungis, vous avez dit Rungis ?

Samuel NAMUNJDJA, Kalawan (détail), pigments naturels sur écorce

Quelques galeries ont fait les choses en grand, et préparé de véritables expositions. C’est le cas de Stéphane Jacob, invité de la galerie d’art contemporain Seine 51. Il propose une sélection d’art australien intéressante tant par sa qualité que sa diversité. Les peintures de Dorothy NAPANGARDI illustrent le renouvellement de la cartographie symbolique du territoire par l’intégration d’avancées technologiques comme les images satellites. Ses réseaux de lignes formées d’une succession de points blancs sur fonds noir quadrillent la terre de ses ancêtres tout en évoquant les photos de nuit prises par les satellites au-dessus des villes. Le faiseur de pluie de Lily Mindindril KARADADA, que les aborigènes nomment Wandjina et comparent à une chouette, possède, avec ses deux yeux noirs plantés au centre de sa tête toute blanche, une présence énigmatique. Présence car il s’impose comme un élément figuratif anthropomorphe dans un art où de tels éléments sont rares, énigme car il se dérobe à l’interprétation des non-initiés. Les questions demeurent une fois identifié le motif, tant on sent qu’il y a plus dans cette image que ce que nos yeux ne peuvent voir. Le Wandjina quant à lui ne dira rien, les artistes le privant de bouche. C’est de cet orifice que sont censés sortir les ouragans…

Saluons au passage l’effort pédagogique de la galerie, qui a accompagné chaque œuvre d’un cartel donnant les premières clefs de compréhension de l’œuvre (grammaire symbolique, légende et mythologie afférentes…) tout en rappelant qu’une partie du sens échappe nécessairement à nos yeux et esprits occidentaux, non dépositaires d’un rêve transmis par les ancêtres du temps du Dreaming.

Masque Sigikun, galerie Albert Loeb.

L’expo de la galerie Albert Loeb se maintient quant à elle jusqu’au 3 octobre. Elle est consacrée à la fête du Sogo bo, qui a lieu chez les Bambara et les Bozo (Mali), à l’occasion des récoltes et avant la saison des pluies. La fabrication des masques zoomorphes et anthropomorphes est prise en charge par la société du ton, qui regroupe filles et garçons âgés de 15 à 35 ans. Les masques, très colorés, se composent d’une âme de bois recouverte d’un tissu sur lequel sont fixés des bandes de fer blanc et des découpes de boîtes de conserve peintes, figurant le soleil ou la lune. Les masques Sigikun notamment, représentant une tête de buffle, sont somptueux. Ils témoignent de la vitalité de l’art africain, qu’il serait dommage de réduire aux pièces « historiques » exposées dans les musées.


* Au pluriel boliw, fétiche rendu informe par de multiples couches d’une patine faite d’un conglomérat de matières organiques et minérales, dont la « recette » est tenue secrète. (cf article « Recettes des dieux : l’informe et l’esprit » de mai 2009)
** Statue à côtes de l’île de Pâques, image des ancêtres revenant sous la forme de spectres décharnés.