Une fois n’est pas coutume, parlons d’un événement qui s’est achevé ce week-end : l’édition 2009 du Parcours des mondes, i.e. une soixantaine de galeries parisiennes et étrangères ouvrant leurs portes ou prenant leurs quartiers chez leurs hôtes français pour exposer leurs plus beaux chefs d’œuvre d’arts non occidentaux.
Outre la qualité des pièces, la forme prise par ce salon international des arts premiers était une raison supplémentaire d’y faire un tour : des grappes de galeries le long de quelques rues du 6ème arrondissement incitaient le visiteur à une promenade en forme de cabotage, de statue Dogon en reliquaire Kota, de pagaie des îles Australes en céramique précolombienne, parfois réunies au sein d’une même galerie, dans un désordre étudié digne d’une chambre des merveilles. Défi inespéré pour l’oeil, qui s’amuse à essayer d’identifier les oeuvres le plus finement possible. Un après-midi n’est pas de trop pour visiter toutes les galeries. On termine la journée avec une farandole d’œuvres qui défilent sous les paupières, certaines nettes, d’autres confuses.
Citons quelques pièces exceptionnelles, même si à cet instant plusieurs ont déjà retrouvé leurs pénates loin de la Seine : un reliquaire de crâne en forme de poisson provenant des îles Salomon, un boli*, une sculpture Batak en pierre représentant un ancêtre chevauchant le serpent cornu, dieu du monde souterrain, un moai kava kava** de 50 cm de haut…
Mentionnons également deux curiosités. La première est un vase à anse-goulot en étrier, appartenant à la civilisation andine de Chavin de Huantar (900/200 av JC). La céramique Chavin se caractérise par ses sévères teintes sombres et son iconographie inquiétante et agressive, qui fait la part belle aux crocs et autres attributs du jaguar. Or c’est bien un facétieux petit singe s’accrochant avec souplesse au goulot d’un vase couleur rose pâle qu’exposait la galerie.
La seconde curiosité, c’est un fétiche de la galerie madrilène Arte y Ritual, formée d’une tête de poupée en porcelaine qu’enserrent une série de griffes, le tout étant maintenu ensemble par des liens de fibres, dont les nœuds ont également une fonction symbolique, celle de contrôler la puissance magique du fétiche. Cet objet étrange, mélange surréaliste de fragilité, de douceur et de violence, semble être sur le point de se dévorer lui-même.
Un salon comme le Parcours des mondes a par ailleurs le mérite de mêler à la faune habituelle des galeries des amateurs de beaux objets et de simples curieux, parfois venus en famille. Même s’il s’agit malgré tout d’un public plus ou moins averti il est plus aisé de franchir le seuil des galeries à l’occasion de ces journées, qui ressemblent à un vernissage géant, ouvert sur la ville au moyen de petits panneaux et de paillassons de feutrine jaune. C’est également l’occasion de constater qu’il y a galeriste et galeriste. Il y a en effet un monde entre l’expert d’art mélanésien sortant de sa réserve un petit tambour sous le bras et une anecdote sur les conditions de sa découverte aux lèvres, et celui qui égrène les prix auxquels se sont vendus des œuvres similaires lors des dernières ventes aux enchères. Et de conclure devant le client hésitant : « c’est le moment d’investir, les prix vont monter… ». Rungis, vous avez dit Rungis ?
Samuel NAMUNJDJA, Kalawan (détail), pigments naturels sur écorce
Quelques galeries ont fait les choses en grand, et préparé de véritables expositions. C’est le cas de Stéphane Jacob, invité de la galerie d’art contemporain Seine 51. Il propose une sélection d’art australien intéressante tant par sa qualité que sa diversité. Les peintures de Dorothy NAPANGARDI illustrent le renouvellement de la cartographie symbolique du territoire par l’intégration d’avancées technologiques comme les images satellites. Ses réseaux de lignes formées d’une succession de points blancs sur fonds noir quadrillent la terre de ses ancêtres tout en évoquant les photos de nuit prises par les satellites au-dessus des villes. Le faiseur de pluie de Lily Mindindril KARADADA, que les aborigènes nomment Wandjina et comparent à une chouette, possède, avec ses deux yeux noirs plantés au centre de sa tête toute blanche, une présence énigmatique. Présence car il s’impose comme un élément figuratif anthropomorphe dans un art où de tels éléments sont rares, énigme car il se dérobe à l’interprétation des non-initiés. Les questions demeurent une fois identifié le motif, tant on sent qu’il y a plus dans cette image que ce que nos yeux ne peuvent voir. Le Wandjina quant à lui ne dira rien, les artistes le privant de bouche. C’est de cet orifice que sont censés sortir les ouragans…
Saluons au passage l’effort pédagogique de la galerie, qui a accompagné chaque œuvre d’un cartel donnant les premières clefs de compréhension de l’œuvre (grammaire symbolique, légende et mythologie afférentes…) tout en rappelant qu’une partie du sens échappe nécessairement à nos yeux et esprits occidentaux, non dépositaires d’un rêve transmis par les ancêtres du temps du Dreaming.
L’expo de la galerie Albert Loeb se maintient quant à elle jusqu’au 3 octobre. Elle est consacrée à la fête du Sogo bo, qui a lieu chez les Bambara et les Bozo (Mali), à l’occasion des récoltes et avant la saison des pluies. La fabrication des masques zoomorphes et anthropomorphes est prise en charge par la société du ton, qui regroupe filles et garçons âgés de 15 à 35 ans. Les masques, très colorés, se composent d’une âme de bois recouverte d’un tissu sur lequel sont fixés des bandes de fer blanc et des découpes de boîtes de conserve peintes, figurant le soleil ou la lune. Les masques Sigikun notamment, représentant une tête de buffle, sont somptueux. Ils témoignent de la vitalité de l’art africain, qu’il serait dommage de réduire aux pièces « historiques » exposées dans les musées.
* Au pluriel boliw, fétiche rendu informe par de multiples couches d’une patine faite d’un conglomérat de matières organiques et minérales, dont la « recette » est tenue secrète. (cf article « Recettes des dieux : l’informe et l’esprit » de mai 2009)
** Statue à côtes de l’île de Pâques, image des ancêtres revenant sous la forme de spectres décharnés.
En tout cas, c'était l'occas de voir gratuitement de superbes oeuvres... J'ai adoré les peintures aborigènes...
RépondreSupprimerOiu, oeuvres très chouettes et une galerie à découvrir!
RépondreSupprimerRhaaa nostalgie. J'ai vu une impressionnante expo d'art africain (ouest essentiellement) à Lisbonne (pour ceux qui partent prochainement). Ils 'agit d'une collection privée ouverte au public. Je ne me souviens plus du nom de la galerie (...) mais c'est place du commerce (à côté de la maison du vin). Je fais donc passer l'information, même incomplète, pour cette expo un peu lointaine mais gratuite.
RépondreSupprimerDécidément ça a l'air chouette Lisbonne : des expos d'art africain gratuites et une maison du vin...
RépondreSupprimerJe te le fais pas dire...
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