Le thème du passage imperceptible et irrémédiable du temps, ainsi que son corollaire, l’urgence de vivre ici et maintenant, traversent l’œuvre de Francine Flandrin F2, mêlés à son intérêt pour l’histoire de l’art des périodes antérieures. Ses Vanités Contemporaines naissent fin 2001 d’une réflexion autour des objets symbolisant la mélancolie, stimulée par la lecture de l’opus de Klibansky, Saxl et Panofsky, Saturne et la Mélancolie. Une fois disparue la femme qui incarne la mélancolie, ces objets acquièrent un sens nouveau, devenant des évocations de la vanité, du passage, de l’impermanence de toute chose. Si ces objets sont polysémiques, de nouveaux symboles sont susceptibles d’émerger. Très vite donc, Francine Flandrin F2 évacue les symboles XVIIème siècle des vanités et entreprend de renouveler l’approche et l’iconographie du thème, où les préoccupations religieuses se doublent d’interrogations consuméristes et environnementales.
Car les Vanités Contemporaines sont également une réponse à un défi plastique : il s’agit de trouver une forme picturale à ce qui fuit, se dégrade et disparaît. Ce défi se double d’une interrogation iconographique : comment renouveler le corpus d’objets qui symbolise la vanité, le passage, la fragilité et la futilité ? Après avoir réalisé quelques toiles monochromes, où le motif, imprécis, flou, est traversé de bandes aniconiques, Francine Flandrin F2 décide de faire entrer en scène des commanditaires d’un genre nouveau, des gens du tout venant, un enfant, une vendeuse de Macadam Journal, un écrivain, un policier, des retraités, une historienne de l’art, un architecte chinois, un poète…Elle leur demande de remplir une fiche où ils donnent leur définition des vanités contemporaines ainsi que l’objet et la couleur qui les représentent selon eux. De l’air frais souffle alors sur ce thème universel.
« Quelles sont pour vous les vanités contemporaines ? » Cette question, au centre des fiches que remplissent les « Nouveaux Commanditaires », fait l’écho de celle que Francine Flandrin s’est d’abord posée à elle-même dans le vide de l’atelier, face à la toile blanche ou avant que surgisse l’idée du support à privilégier.
Au-delà du renouvellement iconographique du thème, Francine Flandrin retisse ce lien qui s’est s’effiloché au fil des siècles entre commanditaire et artiste, tout en distinguant nettement le premier du mécène. Les « Nouveaux Commanditaires » interviennent dans la détermination du sujet mais n’ont pas vocation à acheter la toile, bien qu’ils puissent l’acquérir s’ils le souhaitent. Une fois finie, l’œuvre pourra être achetée par un tiers, collectionneur, galerie ou musée. La diversité des personnes susceptibles d’être amenées à jouer le rôle de « Nouveau Commanditaire » se trouve ainsi accrue.
Outre le renouvellement du corpus de la vanité l’intervention des « Nouveaux Commanditaires » poursuit deux finalités. Tout d’abord, celle de mettre en abyme le thème de la vanité : la réflexion sur son iconographie et les conditions de sa représentation est d’une certaine manière vain lui aussi, en tant que volonté perpétuellement frustrée de s’extraire du cours du temps pour laisser une trace de son passage.
Cette mise en abyme ne mène toutefois pas à l’impasse. En partageant ce questionnement sur les Vanités Contemporaines avec un panel varié d’ « inspirateurs », Francine Flandrin crée un lien, une réflexion commune, provoque une confidence, les amène à se dévoiler, à livrer au papier un peu de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils sont, aiment ou détestent…Francine Flandrin parle d’une « forme de portrait en creux »* , indirect, d’une «Comédie humaine passée au white spirit » **. Chaque tableau raconte une histoire, celle de la réception et de la réappropriation des informations contenues dans la fiche par Francine Flandrin F2. Le rituel de la fiche établit un échange, un don et un contre-don, une fiche pour une œuvre, l’une et l’autre formant in fine un « diptyque tableau-fiche »*** , la fiche constituant le cartel de la toile lors des expositions.
Fiche et Vanités commanditaire Paul-Louis Flandrin
(pigment phosphorescent, vue de nuit, huile sur toile)
Chaque toile en dit finalement plus sur son commanditaire et sur le processus créatif propre à l’artiste que sur les vanités, si ce n’est sur l’universalité du thème qui suscite une infinité de réponses particulières. En s’intéressant à la perception que l’homme a de lui-même et de ce qui l’entoure, Francine Flandrin F2 recueille une multiplicité de suggestions en réponse à une unique question, toujours identique. Elle renforce encore cette idée de foisonnement en refusant toute relation binaire entre une œuvre et la fiche qui l’a inspirée : une fiche pourrait engendrer différents tableaux, chacun d’entre eux pouvant offrir une réponse à plusieurs fiches. Les « Nouveaux Commanditaires » sont d’ailleurs pleins de surprises : réponses lacunaires ou hors sujet, noms d’emprunt, brusque changement d’opinion sur le sujet de leur définition des Vanités Contemporaines entre le moment où ils découvrent le projet et celui où ils couchent leur réponse par écrit…
Si les « Nouveaux Commanditaires » inspirent le sujet de l’œuvre, Francine Flandrin conserve toutefois une grande liberté de mouvement pour se réapproprier le thème, qu’accroissent encore les multiples possibilités plastiques inventées depuis XVIIème siècle : peintures visibles sous certaines conditions uniquement, recours à l’installation…Par exemple, pour rendre plastiquement l’impression de la lingette jetable qui lave plus blanc que blanc et va ensuite grossir la masse de nos déchets ménagers, symbole des Vanités Contemporaines pour l’un des « Nouveaux Commanditaires », Francine Flandrin F2 peint le motif à l’aide de peinture phosphorescente et y associe un piédestal supportant un interrupteur qui commande un flash. Le spectateur peut donc illuminer brièvement l’œuvre et distinguer un instant l’image d’une lingette aussitôt utilisée, aussitôt jetée. Cette impression de fugacité est renforcée par le caractère illusoirement épiphanique du dispositif : le spectateur n’est témoin que d’une apparition fugitive et vide de sens, dont le seul effet est de l’éblouir un bref instant.
Autre exemple, une toile recouverte d’une couche de peinture au bitume sur laquelle est appliquée une couche de peinture blanche. La peinture au bitume, qui brunit avec le temps, va réapparaître peu à peu, du moins est-ce le pari conjoint de l’artiste et du collectionneur qui acquiert l’œuvre. La toile devient alors l’image cinétique du temps qui passe, équivalent en deux dimensions d’un sablier ou d’une clepsydre.
D’autres toiles représentent des anamorphoses de voitures ou d’écran plasma, des visages ou des objets devenus flous ou traversés de bandes de couleur pure, produisant l’impression que tout se dissout, écho à la lettre originelle de l’Ecclésiaste, qui ne parle pas de « vanité » au sens strict mais de « fumée », un objet qui n’en est presque plus un, intangible et spectral, un éphémère phénomène visible.
Par la variété des motifs qu’elle peint, des mediums et des dispositifs qu’elle emploie, Francine Flandrin F2 brise le monopole que le crâne exerçait sur le thème des vanités. Elle nous propose une approche renouvelée, en offrant une réponse globale, plastique et iconographique, aux défis de ce thème et en plaçant le dialogue avec le spectateur devenu commanditaire au cœur de sa démarche.
* Vanités les nouveaux commanditaires, 2001-2004, tome I, journal de Francine Flandrin, édité par le Dr Elisabeth Rath et le Kunstforum Hallein, avec le soutien de l'Institut Français d'Innsbruck, l'Ambassade de France à Vienne et l'Institut Français de Vienne, Acquisition de la Bibliothèque Kandinsky, Centre Georges Pompidou, p.20.
**c.f. le site internet que Francine Flandrin consacre à son travail : lesvanitescontemporaines.over-blog.com
***ibidem.
Photos de Francine Flandrin F2.
Fiche et Vanités commanditaire Adeline André
Car les Vanités Contemporaines sont également une réponse à un défi plastique : il s’agit de trouver une forme picturale à ce qui fuit, se dégrade et disparaît. Ce défi se double d’une interrogation iconographique : comment renouveler le corpus d’objets qui symbolise la vanité, le passage, la fragilité et la futilité ? Après avoir réalisé quelques toiles monochromes, où le motif, imprécis, flou, est traversé de bandes aniconiques, Francine Flandrin F2 décide de faire entrer en scène des commanditaires d’un genre nouveau, des gens du tout venant, un enfant, une vendeuse de Macadam Journal, un écrivain, un policier, des retraités, une historienne de l’art, un architecte chinois, un poète…Elle leur demande de remplir une fiche où ils donnent leur définition des vanités contemporaines ainsi que l’objet et la couleur qui les représentent selon eux. De l’air frais souffle alors sur ce thème universel.
« Quelles sont pour vous les vanités contemporaines ? » Cette question, au centre des fiches que remplissent les « Nouveaux Commanditaires », fait l’écho de celle que Francine Flandrin s’est d’abord posée à elle-même dans le vide de l’atelier, face à la toile blanche ou avant que surgisse l’idée du support à privilégier.
Au-delà du renouvellement iconographique du thème, Francine Flandrin retisse ce lien qui s’est s’effiloché au fil des siècles entre commanditaire et artiste, tout en distinguant nettement le premier du mécène. Les « Nouveaux Commanditaires » interviennent dans la détermination du sujet mais n’ont pas vocation à acheter la toile, bien qu’ils puissent l’acquérir s’ils le souhaitent. Une fois finie, l’œuvre pourra être achetée par un tiers, collectionneur, galerie ou musée. La diversité des personnes susceptibles d’être amenées à jouer le rôle de « Nouveau Commanditaire » se trouve ainsi accrue.
Outre le renouvellement du corpus de la vanité l’intervention des « Nouveaux Commanditaires » poursuit deux finalités. Tout d’abord, celle de mettre en abyme le thème de la vanité : la réflexion sur son iconographie et les conditions de sa représentation est d’une certaine manière vain lui aussi, en tant que volonté perpétuellement frustrée de s’extraire du cours du temps pour laisser une trace de son passage.
Cette mise en abyme ne mène toutefois pas à l’impasse. En partageant ce questionnement sur les Vanités Contemporaines avec un panel varié d’ « inspirateurs », Francine Flandrin crée un lien, une réflexion commune, provoque une confidence, les amène à se dévoiler, à livrer au papier un peu de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils sont, aiment ou détestent…Francine Flandrin parle d’une « forme de portrait en creux »* , indirect, d’une «Comédie humaine passée au white spirit » **. Chaque tableau raconte une histoire, celle de la réception et de la réappropriation des informations contenues dans la fiche par Francine Flandrin F2. Le rituel de la fiche établit un échange, un don et un contre-don, une fiche pour une œuvre, l’une et l’autre formant in fine un « diptyque tableau-fiche »*** , la fiche constituant le cartel de la toile lors des expositions.
Fiche et Vanités commanditaire Paul-Louis Flandrin
(pigment phosphorescent, vue de nuit, huile sur toile)
Chaque toile en dit finalement plus sur son commanditaire et sur le processus créatif propre à l’artiste que sur les vanités, si ce n’est sur l’universalité du thème qui suscite une infinité de réponses particulières. En s’intéressant à la perception que l’homme a de lui-même et de ce qui l’entoure, Francine Flandrin F2 recueille une multiplicité de suggestions en réponse à une unique question, toujours identique. Elle renforce encore cette idée de foisonnement en refusant toute relation binaire entre une œuvre et la fiche qui l’a inspirée : une fiche pourrait engendrer différents tableaux, chacun d’entre eux pouvant offrir une réponse à plusieurs fiches. Les « Nouveaux Commanditaires » sont d’ailleurs pleins de surprises : réponses lacunaires ou hors sujet, noms d’emprunt, brusque changement d’opinion sur le sujet de leur définition des Vanités Contemporaines entre le moment où ils découvrent le projet et celui où ils couchent leur réponse par écrit…
Si les « Nouveaux Commanditaires » inspirent le sujet de l’œuvre, Francine Flandrin conserve toutefois une grande liberté de mouvement pour se réapproprier le thème, qu’accroissent encore les multiples possibilités plastiques inventées depuis XVIIème siècle : peintures visibles sous certaines conditions uniquement, recours à l’installation…Par exemple, pour rendre plastiquement l’impression de la lingette jetable qui lave plus blanc que blanc et va ensuite grossir la masse de nos déchets ménagers, symbole des Vanités Contemporaines pour l’un des « Nouveaux Commanditaires », Francine Flandrin F2 peint le motif à l’aide de peinture phosphorescente et y associe un piédestal supportant un interrupteur qui commande un flash. Le spectateur peut donc illuminer brièvement l’œuvre et distinguer un instant l’image d’une lingette aussitôt utilisée, aussitôt jetée. Cette impression de fugacité est renforcée par le caractère illusoirement épiphanique du dispositif : le spectateur n’est témoin que d’une apparition fugitive et vide de sens, dont le seul effet est de l’éblouir un bref instant.
Autre exemple, une toile recouverte d’une couche de peinture au bitume sur laquelle est appliquée une couche de peinture blanche. La peinture au bitume, qui brunit avec le temps, va réapparaître peu à peu, du moins est-ce le pari conjoint de l’artiste et du collectionneur qui acquiert l’œuvre. La toile devient alors l’image cinétique du temps qui passe, équivalent en deux dimensions d’un sablier ou d’une clepsydre.
Fiche et Vanités commanditaire Hiroshi Chitose
(huile sur toile, peinture au bitume recouverte de peinture blanche)
(huile sur toile, peinture au bitume recouverte de peinture blanche)
D’autres toiles représentent des anamorphoses de voitures ou d’écran plasma, des visages ou des objets devenus flous ou traversés de bandes de couleur pure, produisant l’impression que tout se dissout, écho à la lettre originelle de l’Ecclésiaste, qui ne parle pas de « vanité » au sens strict mais de « fumée », un objet qui n’en est presque plus un, intangible et spectral, un éphémère phénomène visible.
Par la variété des motifs qu’elle peint, des mediums et des dispositifs qu’elle emploie, Francine Flandrin F2 brise le monopole que le crâne exerçait sur le thème des vanités. Elle nous propose une approche renouvelée, en offrant une réponse globale, plastique et iconographique, aux défis de ce thème et en plaçant le dialogue avec le spectateur devenu commanditaire au cœur de sa démarche.
* Vanités les nouveaux commanditaires, 2001-2004, tome I, journal de Francine Flandrin, édité par le Dr Elisabeth Rath et le Kunstforum Hallein, avec le soutien de l'Institut Français d'Innsbruck, l'Ambassade de France à Vienne et l'Institut Français de Vienne, Acquisition de la Bibliothèque Kandinsky, Centre Georges Pompidou, p.20.
**c.f. le site internet que Francine Flandrin consacre à son travail : lesvanitescontemporaines.over-blog.com
***ibidem.
Photos de Francine Flandrin F2.
Je trouve ca magnifique la peinture phosphorescente.
RépondreSupprimerLe travail réalisé d'après Paul Louis Flandrin m'impressionne.
RépondreSupprimerC'est vraiment une démarche intéressante, tournée vers l'autre. Merci de nous faire découvrir cet artiste.
Merci à l'artiste surtout, de faire ce travail tellement plus stimulant et original qu'une banale tête de mort.
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