Ce n’est pas tous les jours qu’on redécouvre un bon peintre, injustement aspiré par les tourbillons de l’histoire. C’est ce que nous offre le musée d’Orsay jusqu’au 20 juin 2010 en consacrant une expo à Meijer de Haan (1852 – 1895), fort à propos sous-titrée « le maître caché ». Il s’agit de la première exposition jamais consacrée à cet artiste néerlandais contemporain de Monet, Seurat, Pissarro ou Toulouse-Lautrec. Ni second couteau ni Van Gogh au petit pied, Meijer de Haan fascine par sa compréhension fulgurante de la leçon de Gauguin et l’assimilation personnelle qu’il en fait, malgré la brièveté de sa carrière française.
Arrivé à Paris à l’été 1888 après s’être fait un nom à Amsterdam dans un style réaliste inspiré de l’histoire juive, chargé de réminiscences de Rembrandt, Ter Borch et Vermeer, Meijer de Haan semble quitter définitivement la France au printemps 1891 et ne plus avoir peint par la suite.
Dans l’intervalle, soit en moins de trois ans, il abandonne un faire lisse et minutieux, les préparations sombres et les clairs-obscurs pour des formes simplifiées et cernées, des couleurs franches, une touche vibrante. Absente ou manipulée, la perspective révèle son intérêt pour les estampes japonaises. La qualité de sa nouvelle manière, Meijer de Haan la doit à son solide bagage technique qui lui permet d’apprendre vite et à ses stimulantes fréquentations. Il vit un temps chez Théo Van Gogh, marchand d’art qui s’efforce de faire connaître l’oeuvre des impressionnistes, de Gauguin et de son frère Vincent. De Haan accède ainsi à toute la diversité de l’avant-garde parisienne. Il rencontre Pissarro et Gauguin, et peint avec ce dernier à Pont-Aven entre août 1889 et octobre 1890. Le contact de Gauguin est bénéfique. Les quelques comparaisons que l’expo permet de faire entre les toiles de Gauguin et celles que de Haan peint d’après le même motif ne sont pas au davantage du second. Ses tableaux témoignent d’une peinture charpentée, dont la structure ne fond pas au contact de la couleur pure mais au contraire l’exalte.
Les toiles manquent pourtant, notamment celles de la période parisienne, dont l’expo montre un très beau portrait dessiné de Théo Van Gogh, avec qui de Haan continuera de correspondre. Il ne nous reste qu’une quarantaine de tableaux de Meijer de Haan, dont une grande part se trouve en mains privées.
Le matériel photographique aide alors à combler les blancs, à reconstituer l’environnement de Meijer de Haan : les moulins de Pont-Aven qui s’appuient sur les rochers polis par la rivière, Le Pouldu, la plage des Grands Sables, très pentue, où les enfants s’amusent à se laisser glisser, la solitude de la maison dressée au bord de la falaise, les coiffes de coton bien blanc qui tranche sur le velours noir des costumes, l’atelier qu’il loue d’abord avec Gauguin face à la mer…Premier ailleurs, le plus abordable pour ces peintres fauchés qui vendent peu et mal, la Bretagne semble avoir été pour Meijer de Haan à la fois un refuge et une terre d’expérimentations. Avec Gauguin toujours, il décore la salle à manger de l’auberge où ils se sont installés, « la buvette de la Plage », tenue par Marie Henry, hôtesse si jolie qu’on la surnomme « Marie Poupée ». Dans cette salle à manger la peinture est souveraine, s’attaque à tous les supports, toiles, bois, plâtre…même les fenêtres se transforment en vitraux. Le primat du décoratif sur la narration, le caractère proliférant de ces ornements et la liberté qui semble avoir présider à leur création rappellent d’autres foyers d’artistes, comme Bloomsbury dans le Kent où peintres, écrivains et économistes se retrouveront vers 1915 autour de Duncan Grant et Vanessa Bell, sœur de Virginia Woolf. Cette démarche d’art total privilégiant des formes simples n’est pas sans évoquer certains préceptes de l’Art Nouveau, qui émerge un peu partout dans les villes d’Europe autour de 1900.
Puis brusquement, en octobre 1890, Meijer de Haan quitte la Bretagne. On suppose des raisons financières, mais ça ne paraît pas suffisant, d’autant qu’il laisse une Marie Henry enceinte de ses œuvres et qui accouchera seule de leur fille Ida en 1891. Il avait fait d’elle un peu plus tôt un magnifique portrait intitulé Maternité, tandis qu’elle allaitait son premier enfant, dans une pose rappelant la Vierge dont elle porte le prénom.
Jusqu’au printemps 1891 Meijer de Haan s’attarde à Paris où il prend part au banquet d’adieu organisé pour Gauguin en route vers Tahiti. De Haan lui n’embarque pas pour les îles, renonce à l’atelier des Tropiques. Privé de son compagnon de chevalet, de l’amitié et du soutien de Théo mort le 25 janvier 1891, six mois après son frère Vincent, Meijer de Haan a dû tomber la plus affreuse solitude. Sa vie alors se perd dans l’ombre. On sait qu’il retourne à Amsterdam pour y mourir quelques années plus tard, en 1895. Ne reste alors de lui qu’un atelier recouvert de sombres boiseries, parsemé de moulages d’œuvres classiques, où trône un fauteuil qui essaie de rappeler ceux du siècle d’or hollandais. En contemplant tout cela, le peintre malade a pu sentir que le temps passé, déposé ici en fine poussière, ne s’était peut-être pas écoulé tout à fait en vain. Mais les toiles qui témoignaient de sa nouvelle manière étaient dispersées, perdues, oubliées sans doute en Bretagne, si loin.
Toutes ses œuvres de la période bretonne demeurent en effet chez Mary Henry jusqu’à sa mort en 1959, date à laquelle Ida les vend, sans que cela suscite l’intérêt des musées. L’expo fait rapidement allusion à ses efforts pour promouvoir le travail d’un père inconnu et partout visible, de la salle à manger peinte aux rivages du Pouldu.
Espérons que l’exposition du musée d’Orsay suscitera de nouvelles recherches et que progressera notre connaissance de ce peintre météore, dont la carrière française tient dans le laps de temps qui suffit à Vincent Van Gogh pour finir son œuvre, d’Arles à l’asile de Saint-Rémy, de la Provence à Auvers-sur-Oise. Caprice de l’histoire, les deux amis hollandais de Gauguin ne se rencontrèrent jamais.
Illustration : Meijer de Haan, Autoportrait sur fond japonisant, 1889-1890, Fondation Triton, Pays-Bas (copyright Collection triton Foundation).
Arrivé à Paris à l’été 1888 après s’être fait un nom à Amsterdam dans un style réaliste inspiré de l’histoire juive, chargé de réminiscences de Rembrandt, Ter Borch et Vermeer, Meijer de Haan semble quitter définitivement la France au printemps 1891 et ne plus avoir peint par la suite.
Dans l’intervalle, soit en moins de trois ans, il abandonne un faire lisse et minutieux, les préparations sombres et les clairs-obscurs pour des formes simplifiées et cernées, des couleurs franches, une touche vibrante. Absente ou manipulée, la perspective révèle son intérêt pour les estampes japonaises. La qualité de sa nouvelle manière, Meijer de Haan la doit à son solide bagage technique qui lui permet d’apprendre vite et à ses stimulantes fréquentations. Il vit un temps chez Théo Van Gogh, marchand d’art qui s’efforce de faire connaître l’oeuvre des impressionnistes, de Gauguin et de son frère Vincent. De Haan accède ainsi à toute la diversité de l’avant-garde parisienne. Il rencontre Pissarro et Gauguin, et peint avec ce dernier à Pont-Aven entre août 1889 et octobre 1890. Le contact de Gauguin est bénéfique. Les quelques comparaisons que l’expo permet de faire entre les toiles de Gauguin et celles que de Haan peint d’après le même motif ne sont pas au davantage du second. Ses tableaux témoignent d’une peinture charpentée, dont la structure ne fond pas au contact de la couleur pure mais au contraire l’exalte.
Les toiles manquent pourtant, notamment celles de la période parisienne, dont l’expo montre un très beau portrait dessiné de Théo Van Gogh, avec qui de Haan continuera de correspondre. Il ne nous reste qu’une quarantaine de tableaux de Meijer de Haan, dont une grande part se trouve en mains privées.
Le matériel photographique aide alors à combler les blancs, à reconstituer l’environnement de Meijer de Haan : les moulins de Pont-Aven qui s’appuient sur les rochers polis par la rivière, Le Pouldu, la plage des Grands Sables, très pentue, où les enfants s’amusent à se laisser glisser, la solitude de la maison dressée au bord de la falaise, les coiffes de coton bien blanc qui tranche sur le velours noir des costumes, l’atelier qu’il loue d’abord avec Gauguin face à la mer…Premier ailleurs, le plus abordable pour ces peintres fauchés qui vendent peu et mal, la Bretagne semble avoir été pour Meijer de Haan à la fois un refuge et une terre d’expérimentations. Avec Gauguin toujours, il décore la salle à manger de l’auberge où ils se sont installés, « la buvette de la Plage », tenue par Marie Henry, hôtesse si jolie qu’on la surnomme « Marie Poupée ». Dans cette salle à manger la peinture est souveraine, s’attaque à tous les supports, toiles, bois, plâtre…même les fenêtres se transforment en vitraux. Le primat du décoratif sur la narration, le caractère proliférant de ces ornements et la liberté qui semble avoir présider à leur création rappellent d’autres foyers d’artistes, comme Bloomsbury dans le Kent où peintres, écrivains et économistes se retrouveront vers 1915 autour de Duncan Grant et Vanessa Bell, sœur de Virginia Woolf. Cette démarche d’art total privilégiant des formes simples n’est pas sans évoquer certains préceptes de l’Art Nouveau, qui émerge un peu partout dans les villes d’Europe autour de 1900.
Puis brusquement, en octobre 1890, Meijer de Haan quitte la Bretagne. On suppose des raisons financières, mais ça ne paraît pas suffisant, d’autant qu’il laisse une Marie Henry enceinte de ses œuvres et qui accouchera seule de leur fille Ida en 1891. Il avait fait d’elle un peu plus tôt un magnifique portrait intitulé Maternité, tandis qu’elle allaitait son premier enfant, dans une pose rappelant la Vierge dont elle porte le prénom.
Jusqu’au printemps 1891 Meijer de Haan s’attarde à Paris où il prend part au banquet d’adieu organisé pour Gauguin en route vers Tahiti. De Haan lui n’embarque pas pour les îles, renonce à l’atelier des Tropiques. Privé de son compagnon de chevalet, de l’amitié et du soutien de Théo mort le 25 janvier 1891, six mois après son frère Vincent, Meijer de Haan a dû tomber la plus affreuse solitude. Sa vie alors se perd dans l’ombre. On sait qu’il retourne à Amsterdam pour y mourir quelques années plus tard, en 1895. Ne reste alors de lui qu’un atelier recouvert de sombres boiseries, parsemé de moulages d’œuvres classiques, où trône un fauteuil qui essaie de rappeler ceux du siècle d’or hollandais. En contemplant tout cela, le peintre malade a pu sentir que le temps passé, déposé ici en fine poussière, ne s’était peut-être pas écoulé tout à fait en vain. Mais les toiles qui témoignaient de sa nouvelle manière étaient dispersées, perdues, oubliées sans doute en Bretagne, si loin.
Toutes ses œuvres de la période bretonne demeurent en effet chez Mary Henry jusqu’à sa mort en 1959, date à laquelle Ida les vend, sans que cela suscite l’intérêt des musées. L’expo fait rapidement allusion à ses efforts pour promouvoir le travail d’un père inconnu et partout visible, de la salle à manger peinte aux rivages du Pouldu.
Espérons que l’exposition du musée d’Orsay suscitera de nouvelles recherches et que progressera notre connaissance de ce peintre météore, dont la carrière française tient dans le laps de temps qui suffit à Vincent Van Gogh pour finir son œuvre, d’Arles à l’asile de Saint-Rémy, de la Provence à Auvers-sur-Oise. Caprice de l’histoire, les deux amis hollandais de Gauguin ne se rencontrèrent jamais.
Illustration : Meijer de Haan, Autoportrait sur fond japonisant, 1889-1890, Fondation Triton, Pays-Bas (copyright Collection triton Foundation).
Étonnant peintre que ce De Haan. Et belle expo qui m'a rendu un pu triste à la découverte de ce parcours inachevé que ton article rend avec justesse.
RépondreSupprimerIl ne faisait pas très bon être un peintre novateur à la fin du XIXeme. La plupart des impressionistes et consorts ont vécu dans la pauvreté voire la misère, pendant que les Cabanel et Bouguereau étaient fêtés comme des Titien...Heureusement, le temps finit par faire son oeuvre, même tardivement!
RépondreSupprimerVous avez une très jolie plume qui traduit très bien les émotions. Un bel article que j'ai eu grand plaisir à lire. Merci.
RépondreSupprimerMerci à vous pour votre commentaire !
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