1.
Le cheval, absent en pays dogon en raison du relief accidenté et de l’aridité des terres, est fréquemment représenté, comme les hermaphrodites, les animaux aquatiques et les figures aux bras levés le long de la tête. La figure du cavalier est traitée chez les Djennenké puis chez les N’Duleri avec une puissante stylisation des formes. Le cheval rappelant à la fois l’envahisseur et la venue des ancêtres sur terre, ce type de figure équestre est généralement interprétée comme une représentation du hogon, clef de voûte de tout village dogon. Choisi par le devin, le binu, le hogon est un homme âgé qui meurt à sa vie antérieure pour jouer un rôle d’intercesseur entre les hommes et Amma, le dieu créateur inaccessible. Il vit seul et reclus dans sa maison, ne parlant pas directement aux hommes mais disposant pour ce faire d’un intermédiaire. La nuit, il s’entretient avec le serpent Lébé, un des ancêtres mythiques ayant guidé les premiers Dogon jusqu’aux falaise de Bandiagara.
La disposition des pièces à l’intérieur des vitrines rend sensible le dynamisme produit par l’absence de symétrie axiale des cavaliers N’Duleri, évolution qui semble apparaître vers le XVIe siècle et que l’on retrouve chez les Dogon. Plusieurs statues représentent des ancêtres dogon franchissant le fleuve Niger sur le dos de tortues ou de crocodiles – nouvelle allusion à la nature aquatique des ancêtres mythiques. Dans la vitrine, la demi-douzaine de figures caracole au sommet de vagues imaginaires, montant des bêtes approximatives, qui souvent se résument à un tronc à peine muni d’une tête et de pattes schématiques. Le dynamisme et la fraîcheur d’évocation n’en sont pas moins saisissants.
3.
La mythologie Dogon telle qu’elle nous est parvenue est loin d’être simple. Bien au contraire, les variantes d’un même mythe sont légions ; elles fourmillent, chacune comportant des éléments qui l’enrichissent et le densifient. Elles nous laissent apercevoir une pensée Dogon très différente de la nôtre, équivoque, sinueuse, tissant des correspondances incessantes entre l’abstrait et le concret. Entre langage et tissage par exemple. Le dieu Amma créa les deux couples de jumeaux – ou les deux jumeaux hermaphrodites – à partir de sa parole et d’un peu de salive. Plus tard, l’un des jumeaux, Nommo, enseigna aux hommes l’art du tissage. A mesure qu’il formait les mots dans sa bouche, le tissu –parole prenait tournure, la langue jouant le rôle de la navette, les dents celui du peigne du métier à tisser. Les motifs tissés sont probablement la matérialisation du contenu de cette parole, sa pérennisation, encore que pour les interpréter il faudrait avoir été initié au préalable.
4.
De même, lors de la sortie des masques dogon, les non-initiés – les femmes et les enfants, tenus à l’écart car associés à la puissance vitale – interprètent le masque kanaga, une double croix, comme un oiseau, là où les initiés voient également le Renard pâle mourant de soif, les pattes écartées, Amma créant le monde en une danse tournoyante entre ciel et terre, mais encore la représentation du sacrifice de Nommo, coupé en quatre morceaux par Amma pour rétablir l’ordre après la fuite de son frère le Renard pâle, parti en emportant un morceau de leur placentas, ce qui symbolise l’inceste avec sa mère la Terre. Pour appréhender ces couches de sens complémentaires, les jeunes garçons étaient initiés au moment de leur circoncision. Il existe encore près du village de Songo un auvent sur lequel sont peints des motifs reprenant les formes de masques et autres symboles dogon. Les premiers fragments de peinture furent rapportés en 1907 par le lieutenant explorateur Louis Desplagnes, en mission pour le musée du Trocadéro.
5.
Privé de l’usage de la parole en châtiment de son crime, le Renard pâle ne peut s’exprimer qu’en laissant les traces de ses pattes sur les tables de divination dessinées à même le sable. Le binu, apte à lire cette langue secrète, inscrit plusieurs fois une même question au moyen de signes, sème de la nourriture pour attirer l’animal puis étudie les marques récoltées pour en tirer des réponses.6.
Connus voire célèbres de nos jours, les Dogon conservent un bonne partie de leur mystère. Malgré une islamisation croissante, ils demeurent attachés à leurs mythes et à leur culture, qui continuent de faire l’objet de réinterprétations. Si les masques sortent à présent pour satisfaire les touristes autant que pour apaiser les âmes des morts et se concilier leur énergie vitale, cette nyama qui rôde d’un monde à l’autre et peut devenir néfaste, ces fêtes attirent également de nombreux Dogon établis en ville et sont l’occasion de remettre au goût du jour la forme et les matériaux utilisés pour confectionner les masques.
Ce présent de l’histoire Dogon, l’exposition du musée du quai Branly l’effleure à peine, le réservant peut-être pour une expo future. On l’espère !
Photos de l'exposition :
1. et 3. : cavaliers N'Duleri
2. et 6. : figures d'ancêtres dogon franchissant le fleuve Niger
4. : masque du singe blanc, dogon
5. : photo d'une photo de l'auvent dit Desplagnes, prise dans les années 1970
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