1.
Dans la galerie de Paul-Louis Flandrin, une fête étrange a lieu. Dans les vitrines, parmi la vaisselle étincelante, les couvercles aux formes chantournées, les couteaux en argent sagement rangés, les minuscules fourchettes à huîtres étiquetées, des hôtes de passage se sont glissés sans bruit. Dès l’entrée, le rouge profond du centre de table en faïence émaillée de Valérie Delarue attire le regard. Mais ce n’est pas un sujet appétissant ou inoffensif que les quatre pièces nous offrent dans tout l’éclat de leur glaçure.
Les pieds dans le plat représente des orteils, des plantes de pieds humains grandeur nature, intacts et fragiles, mêlés à des fruits indéfinissables, à des blocs sans forme reconnaissable, dont la couleur va du rose au violacé en passant par un rouge grenade. Ce centre de table a des allures de festins d’ogres ou de sacrifice. Il rappelle aux convives, de manière fort importune, l’acte violent qui prélude à la consommation des chairs mortes d’un animal, point d’orgue du repas de famille. Les pieds dans le plat sont d’ailleurs à demi ensevelis sous des fragments de vaisselle, comme si le dîner avait conservé une charge violente, comme si le climat orageux né de la réunion des convives pouvait provoquer un séisme meurtrier et engloutir l’assemblée.
L’exposition Festen dérange donc, au propre comme au figuré, l’espace de la galerie, dont les pièces d’orfèvrerie évoquent une table dressée pour les fêtes par une famille policée, mais qui n’en pense pas moins. A l’instar du film de Thomas Vinterberg qui donne son titre à l’exposition, les pièces laissent apercevoir la partie immergée de l’iceberg. La Cène de la vie familiale de Francine Flandrin, image lenticulaire qui permet de voir simultanément deux prises de vues, selon l’endroit où l’on se place, l’illustre. Fin de partie d’Aude Medori, empreintes en argent de l’intérieur des mains d’un convive, crispées sur son exquise serviette de lin brodé, suggère les tensions dont la table du dîner est témoin. Miller Lévy invite lui aussi à soulever le voile des apparences avec ses Oulipismes, prenant pour cible deux « Que sais-je ? » qui, une fois massicotés et permutés, acquièrent de nouveaux titres révélateurs : « Le mariage et les saveurs » et « Le goût et le divorce ». Art culinaire et familles (dés)unies se trouvent une nouvelle fois mêlés.
Quand l’harmonie du foyer n’est plus qu’un cliché télévisuel la pizza solitaire et sa cannette remplacent les grandes tablées. Cyril le Van crée des simulacres de ces simulacres de repas, en bâche imprimée et cousue. Corinne Fhima suggère que nous ne sommes pas loin de nous transformer nous aussi en produits prêts-à-manger, dont l’humanité est baffouée. Son Eve waiting for love, jeune femme dénudée et ligotée comme un blanc de dinde – humaine ou animale ? – trône sous son cellophane dans deux plats en argent de la galerie.
Si Miller Lévy propose des boîtes d’aliments pour chiens « avec de vrais morceaux de chats » et son pendant pour chats, Marie Sochor permet à leurs maîtres d’apaiser leur fringale carnivore en mangeant Jésus, non plus symboliquement, en croquant une hostie sèche et dure, mais au sens propre, en savourant un saucisson de Lyon bien dodu, bien plus satisfaisant sur le plan gustatif.
Et si le traditionnel repas de famille devient trop inquiétant, nous pouvons toujours Liquider l’année finissante, les ressentiments et les tensions dont elle a été le témoin grâce à Francine Flandrin. Pour ce faire, elle nous propose de remplacer les munitions par un shot de vodka renommée pour l’occasion AK47, nom du fusil de Mikhaïl Kalachnikov. 2011 n’a qu’à bien se tenir.
Festen ?!
Cette fête commencera par la dinde et finira par les marrons.
Une proposition curatoriale de Francine Flandrin
Exposition du 16 décembre au 22 janvier 2011 à la paul-louis flandrin galerie, 158, rue de grenelle 75007
1. Francine Flandrin, Aphorismes, proverbes et expressions #85 Festen ?!, 2010.
2.Valérie Delarue, Les pieds dans le plat, faïence émaillée, centre de table, 2010.
3. Miller Levy, Parmesan, encre sur parmesan, 1999.
4. Cyril Le Van, Pizza + 2 sodas, bâche imprimée, agrafes et couture, 2010.
5. Miller Levy, Nourriture pour chien et nourriture pour chat, boîte de conserve et impression sur papier.
Les pieds dans le plat représente des orteils, des plantes de pieds humains grandeur nature, intacts et fragiles, mêlés à des fruits indéfinissables, à des blocs sans forme reconnaissable, dont la couleur va du rose au violacé en passant par un rouge grenade. Ce centre de table a des allures de festins d’ogres ou de sacrifice. Il rappelle aux convives, de manière fort importune, l’acte violent qui prélude à la consommation des chairs mortes d’un animal, point d’orgue du repas de famille. Les pieds dans le plat sont d’ailleurs à demi ensevelis sous des fragments de vaisselle, comme si le dîner avait conservé une charge violente, comme si le climat orageux né de la réunion des convives pouvait provoquer un séisme meurtrier et engloutir l’assemblée.
L’exposition Festen dérange donc, au propre comme au figuré, l’espace de la galerie, dont les pièces d’orfèvrerie évoquent une table dressée pour les fêtes par une famille policée, mais qui n’en pense pas moins. A l’instar du film de Thomas Vinterberg qui donne son titre à l’exposition, les pièces laissent apercevoir la partie immergée de l’iceberg. La Cène de la vie familiale de Francine Flandrin, image lenticulaire qui permet de voir simultanément deux prises de vues, selon l’endroit où l’on se place, l’illustre. Fin de partie d’Aude Medori, empreintes en argent de l’intérieur des mains d’un convive, crispées sur son exquise serviette de lin brodé, suggère les tensions dont la table du dîner est témoin. Miller Lévy invite lui aussi à soulever le voile des apparences avec ses Oulipismes, prenant pour cible deux « Que sais-je ? » qui, une fois massicotés et permutés, acquièrent de nouveaux titres révélateurs : « Le mariage et les saveurs » et « Le goût et le divorce ». Art culinaire et familles (dés)unies se trouvent une nouvelle fois mêlés.
Quand l’harmonie du foyer n’est plus qu’un cliché télévisuel la pizza solitaire et sa cannette remplacent les grandes tablées. Cyril le Van crée des simulacres de ces simulacres de repas, en bâche imprimée et cousue. Corinne Fhima suggère que nous ne sommes pas loin de nous transformer nous aussi en produits prêts-à-manger, dont l’humanité est baffouée. Son Eve waiting for love, jeune femme dénudée et ligotée comme un blanc de dinde – humaine ou animale ? – trône sous son cellophane dans deux plats en argent de la galerie.
Si Miller Lévy propose des boîtes d’aliments pour chiens « avec de vrais morceaux de chats » et son pendant pour chats, Marie Sochor permet à leurs maîtres d’apaiser leur fringale carnivore en mangeant Jésus, non plus symboliquement, en croquant une hostie sèche et dure, mais au sens propre, en savourant un saucisson de Lyon bien dodu, bien plus satisfaisant sur le plan gustatif.
Et si le traditionnel repas de famille devient trop inquiétant, nous pouvons toujours Liquider l’année finissante, les ressentiments et les tensions dont elle a été le témoin grâce à Francine Flandrin. Pour ce faire, elle nous propose de remplacer les munitions par un shot de vodka renommée pour l’occasion AK47, nom du fusil de Mikhaïl Kalachnikov. 2011 n’a qu’à bien se tenir.
Festen ?!
Cette fête commencera par la dinde et finira par les marrons.
Une proposition curatoriale de Francine Flandrin
Exposition du 16 décembre au 22 janvier 2011 à la paul-louis flandrin galerie, 158, rue de grenelle 75007
1. Francine Flandrin, Aphorismes, proverbes et expressions #85 Festen ?!, 2010.
2.Valérie Delarue, Les pieds dans le plat, faïence émaillée, centre de table, 2010.
3. Miller Levy, Parmesan, encre sur parmesan, 1999.
4. Cyril Le Van, Pizza + 2 sodas, bâche imprimée, agrafes et couture, 2010.
5. Miller Levy, Nourriture pour chien et nourriture pour chat, boîte de conserve et impression sur papier.