mercredi 7 janvier 2009

Pollock avant Pollock et les fleurons de l’art indien


« Pollock et le chamanisme», Pinacothèque de Paris Jusqu’au 15 Février 2009.

Le titre de l’exposition est alléchant : la réunion d’un mythe de l’art abstrait américain, Jackson Pollock (1912-1956), relativement peu visible en France, et du chamanisme, une des croyances les plus étrangères au système de pensée et de représentation du monde européen, mais largement diffusée dans les deux Amériques.

Jackson Pollock dans son atelier, vers 1950 (copyright Rue des archives)


Sur le papier, l’idée de confronter des œuvres de Pollock à des objets amérindiens semble plus que pertinente. Les « drippings » et « pourings »* de Pollock sont traditionnellement rapprochés des peintures de sable exécutées par les indiens et de leurs danses rituelles.
En effet, pour peindre des œuvres de ce type, Pollock délaisse le face-à-face avec le chevalet et se met à tourner autour du support, posé au sol, armé d’un pinceau, d’un pot de peinture industrielle percé ou d’un vulgaire bâton. Les « drippings » sont conçus comme des espaces d’enregistrement des mouvements de l’artiste, chorégraphie qui a davantage d’importance que le résultat qui en découle, d’où le qualificatif d’« action painting » que leur donna Rosenberg, pour exprimer cette idée de primat du geste.


L’expo est en fait un peu décevante : les textes censés guidés le visiteur sont verbeux, plus obscurs que le mysticisme qu’ils évoquent, et veulent nous faire croire que l’association de Pollock au chamanisme est révolutionnaire. Pollock est d’ailleurs présenté comme un observateur passif des rites indiens, qu’il découvre dans les années 1941, lors d’une expo au Museum of Modern Art, en même temps que les surréalistes.

Composition with horse at center, 1934-1938, coll. part (Reproduction à partir de Connaissances des Arts n°665, Nov. 2008)

Autre faiblesse, l’accent est tellement mis sur le chamanisme comme clef de lecture de l’œuvre de Pollock que ses autres influences sont complètement occultées - Picasso est à peine cité -, et qu’au final cette lecture n’éclaire pas beaucoup les œuvres – à de notables mais rares exceptions près c.f. infra. Une toile comme Male and Female in search of a symbol (1943, coll. part.), son caractère vaguement mythologique mis à part, évoque autant plus Masson ou de Kooning que des rites indiens.

Dernier regret, peu de toiles vraiment exaltantes sont présentes, ce qui n’est compensé qu’en partie par plusieurs très belles feuilles à la plume et au crayon. Au final, une expo qui montre plutôt comment Pollock devint Pollock.


Pourquoi cette expo vaut-elle malgré tout la peine de sortir braver le froid ?

Hochet rituel de chamane, 1850-1880, coll. S. Michaan (Reproduction à partir de Connaissances des Arts n°665, Nov. 2008)

Pour 3 raisons.


La qualité et la variété des pièces d’art amérindien tout d'abord. Des mâts totémiques aux masques de chamanes en passant par les petites sculptures d’animaux en ivoire, les couteaux et les boîtes, toutes les pièces sont à la fois belles et originales. Elles appartiennent d’ailleurs quasiment toutes à la même collection particulière, celle de Steven Michaan.

Deux documentaires en noir et blanc, aussi instructifs qu’esthétiques, resituent les objets dans leur environnement sonore, géographique – maison cérémonielles, pirogues décorées naviguant sur un lac – et cinétique. Le visiteur a la chance de voir les masques " vivants", bouger au gré des pas des danseurs. Un éclairage anthropologique qui nourrit l’appréciation esthétique des œuvres.

La confrontation des œuvres de Pollock et des objets amérindiens est parfois tellement saisissante qu’on se demande pourquoi on n’avait pas fait le rapprochement plus tôt, tant il crève les yeux. En ce qui me concerne, un cas m’a particulièrement frappé.
La toile Birth (Tate Gallery, 1938-1941), est composée, comme le mât totémique de maison Haïda ou Nootka (indiens de Colombie Britannique) placé à côté d'elle, d’un enchevêtrement vertical de formes animales, humaines et hybrides lourdement cernées de noir.

Une différence cependant : on remarque dans le tableau de Pollock des figures picassiennes, personnages hurlant de toutes leurs gueules en croissant de lune, les pupilles dilatées...


*dripping, pouring : procédé inventé par le surréaliste Masson et systématisé par Pollock, qui consiste à faire goutter (dripping) ou couler (pouring) la peinture sur la toile posée au sol.

6 commentaires:

  1. Le film de danse est vraiment superbe, c'est probablement ce qui m'a le plus enchanté.
    Effectivement, petit regret sur les œuvres de Pollock, souvent des travaux de jeunesse; mais des pages de croquis splendides...

    RépondreSupprimer
  2. Oui, et j'ai oublié de parler du gardien fou, qui a poursuivi une famille pendant plusieurs salles, sous pretexte que les enfants s'approchaient trop des oeuvres...J'ai eu peur qu'il me harcèle aussi!

    RépondreSupprimer
  3. Je crois que je sens sa présence...

    RépondreSupprimer