samedi 30 mai 2009

Fabrice Montout : des peintures & des dessins



La deuxième édition de « La Force de l’art », qui présente sous la nef du Grand Palais une sélection de la création contemporaine française, se termine ce lundi, le 1er juin.

Pour pousser un peu plus loin ce bref aperçu, allez donc faire un tour sur le blog de Fabrice Montout (dans les liens à droite):

http://fabricemontout.artblog.fr/




Ses corps et ses visages mouvants, en train d’émerger ou de disparaître, naissent d’un trait rapide, qui ne délimite pas la forme mais la construit peu à peu, par accumulation de lignes tremblées, de griffures, d’estompes et de hachures libres et indisciplinées. Cette vigoureuse syntaxe graphique, orageuse par endroit, où le doigt laisse parfois ses traces sur le papier, lui permet de sculpter les corps tout en les brouillant.



Pas d’application besogneuse, mais la justesse du rendu, celui de la lumière par exemple, unifiant une joue, aplatissant un torse. Les dessins et les peintures de Fabrice Montout contiennent l’énergie des études lâchées des maîtres anciens, esquissées rapidement pour saisir une position, l’esprit tendu vers l’œuvre finale. Ils exposent au grand jour les secrets du dessin et de la peinture, leurs lignes, leurs ombres et lumières, où l’énergie du geste, la fraîcheur de l’idée est toute neuve.

vendredi 22 mai 2009

Pierre-Laurent Aimard vs. Beethoven



Pierre-Laurent Aimard, est un pianiste bien connu des amateurs de musique classique, parfaitement ignoré des autres. Un pianiste de renom. Mais Pierre-Laurent Aimard ne se contente pas d’être un interprète. Parfois, quand les œuvres s’y prêtent et que l’envie* s’en fait sentir, il dirige lui-même les musiciens réunis autour de son piano**. Et c’est peu banal.

Comme son nom n’évoquait rien pour moi, je croyais benoîtement aller écouter du Beethoven, les Concertos pour piano n° 2, 1 et 3, plus précisément. Un petit échantillon du premier Beethoven, celui des années 1795-1802, encore empreint de classicisme viennois mais déjà bien reconnaissable.

Quel étonnement, quelle jubilation de voir le pianiste diriger** lui-même la trentaine de musiciens du Chamber Orchestra of Europe, tantôt d’une seule main, d’un signe de tête, par des balancements du torse, des froncements de sourcils ou des roulements d’yeux, tandis que ses mains courent sur le clavier, bondissent et cabriolent selon les mouvements des concertos!

Par un heureux hasard, je m’étais placé tout au bord du balcon à droite de la scène. De mon promontoire, rien ne m’échappe de la gestuelle de cet étrange hybride, mi-pianiste mi-chef d’orchestre. En bas, au parterre, les gens ne voient qu’un dos remuant, des bras brusquement dressés, des coudes qui s’abaissent.

Peut-être y a-t-il un peu de voyeurisme à épier ainsi la cuisine de la musique, à surprendre un geste, une expression destinés à tel ou tel musicien. Mais sinon autant rester chez soi à écouter sagement l’enregistrement****.

Ici, dans le creux du cou de la musique, je suis venu voir Beethoven. Depuis ce perchoir indiscret, on peut presque lire la partition des violons, on surveille le tambour qui tend ses peaux avant de ses frapper. Surtout, on ne perd pas un seul mouvement de ces mains arachnéennes, toujours inquiètes, qui jamais ne se reposent.

Entre deux mouvements le silence se fait. Les archets retombent ou demeurent suspendus dans l’air. Les musiciens écoutent, les yeux clos ou fixant le lointain, la tête penchée d’un côté. Ce silence est autant de Beethoven que les notes qui le précèdent et le suivent. Il en joue, l’installe pour mettre en valeur les motifs rythmiques. Et ce silence, associé à la direction physique du concerto, jette des ponts vers la poésie, mais aussi la danse, le jeu de l’acteur. L’expressivité de la musique déborde de son médium.

Beethoven se qualifiera de Tondichter, « poète des sons ». Pierre-Laurent Aimard incarne cette musique lyrique. Dans une interview, il déclarait espérer apporter quelque chose aux œuvres qu’il interprétait. Pour les concertos pour piano n° 2, 1 et 3 , je crois que c’est fait.


Vous pouvez écouter le début du concerto n°3 par Pierre-Laurent Aimard là :

http://www.cite-musique.fr/francais/evenement.aspx?id=5466


*Il expliquait en 2007 à The Guardian : « Pour être clair, je ne suis pas un chef d’orchestre… J’aime faire de la musique de chambre, faire partie d’un groupe, accompagner du chant, enseigner, parler de musique. En d’autres termes, vivre le phénomène de différents côtés. »

**Ainsi en 2003 il dirigea du clavier des concertos de Mozart, interprétés avec le concours du Chamber Orchestra of Europe. Il expliquait lors d’interviews qu’il ne serait en revanche pas risqué à faire de même pour des œuvres romantiques.

***Rapportons les propos tenus par Pierre-Laurent Aimard sur ces 3 concertos au quotidien The Guardian et repris sur le site de la Cité de la Musique: « du point de vue compositionnel, il n’y a pas encore cette opposition entre l’individu et la masse que l’on trouve dans les concertos romantiques ultérieurs ». Cela rend « plus naturel » de diriger ces concertos au piano.
****L’enregistrement du concert du 30 Avril par France Musique peut encore être écouté sur le site.

mercredi 6 mai 2009

Recettes des dieux : l’informe et l’esprit

Une exposition étrange et rare, qu’il serait dommage de louper : tous au musée du quai Branly ce week-end, car lundi il sera trop tard !

Statuette zoomorphe magiqe, "nkisi nkondi "(fétiche à clous), population Kongo (Congo)

L’idée de la commissaire de l’expo, Nanette Jacomijn Snoep, est de présenter une « grammaire visuelle » des fétiches, ces objets réceptacles des esprits des ancêtres, investis de leur puissance « magique ». En fonction de l’effet désiré (protection, vengeance etc.) ils adoptent des formes différentes : statuettes percées de clous, enserrées dans un réseau de cordes ou simples sacs. Dans tous les cas il s’agit d’objets vivants, dont l’aspect est modifié par les rituels successifs.

Mais surtout l’expo montre que ce caractère informe des fétiches, causé par leur usage répété, se double dans certains cas d’une indétermination voulue, qui reflète la présence en leur sein des esprits de l’au-delà.

Objet sacré, "boli", population Bwa (Mali)

Ainsi les boliw du Mali, utilisés par des sociétés initiatiques Bwa, sont faits d’un amalgame de matières, terre, projections de cendres, de bière de mil, écorce, placenta…Des restes de corps d’ancêtres se trouvent au cœur de cette recette farouche et secrète qui permet d’obtenir une « chose-dieu »*, en deçà et au-delà de l’objet. Cette forme indéfinissable, inqualifiable, n’a pas d’équivalent en Occident (nos reliquaires sont orfévrés, émaillés, bref « propres » et emploient des matériaux nobles). Le boli présenté dans l’exposition est une masse sombre et craquelée, rugueuse par endroits, lisse à d’autres, semblant se dresser sur quatre petits pieds de bois liés entre eux comme les pattes d’un animal capturé par un chasseur.

La muséographie joue sur cette idée en isolant le boli dans une petite salle sombre comme une grotte, au milieu de laquelle il brille étrangement sous les éclairages : quelques reflets jaunes, d’autres légèrement bleutés. Une toute petite fille entre, suivie de sa mère : « Maman, c’est quoi ce machin ? – Je ne sais pas, je vais voir. » Et la mère d’énumérer les matériaux listés sur le cartel, faute de trouver un nom satisfaisant…

Car le boli ce n’est même pas un objet…c’est un machin, une chose indéfinissable. Comme ces figures de la société Egungun des Yoruba (Nigéria), enveloppées de tissu de la tête aux pieds pour cacher les danseurs qui miment les revenants (egungun). Que dire de cette surprenante carte postale montrant trois danseurs egun, rendus semblables aux ancêtres par leurs costumes, assis contre un mur au soleil, pour se reposer ? Cette photo en dit long sur l’interpénétration des mondes visible et invisible en Afrique, sur la dimension épiphanique de ses rituels.


statuette de divination,"nkisi kula", population Kongo (Congo)

Ces objets se situent entre la matière pure, par les libations continuelles qui les rendent informes ou l’absence d’une structure qui guide le tissu, et l’absolue transcendance, favorisée par l’absence de forme prédéfinie : ces objets sans forme ne représentent ni ne symbolisent les esprits, ils le contiennent, comme le reliquaire contient la relique, ils en sont le véhicule.

D’autres objets rendent plus perceptibles la dimension du rituel : les fétiches à clous, ceux qui sont trop puissants pour être touchés et que l’on promène avec une chaînette, les cornes et sacs de divination pleins de substances magiques, issues des règnes végétal, animal et minéral.

Enfin, pour les enfants, possibilité de confectionner son propre fétiche. A toutes fins utiles…


*J. Bazin, Des clous dans la Joconde. L’anthropologie autrement, Toulouse, Anarcharsis Editions, 2008.

Toutes les photo : musée du quai Branly

samedi 2 mai 2009

Court[ez]-y !


La grande salle du cinéma des cinéastes, avec son armature de fer surannée

L’avantage des courts métrages sur les longs, comme dirait La Palisse, c’est qu’ils sont courts…Derrière ce pléonasme, se cache une densité, une inventivité amplifiées par la liberté et le manque de moyens. Et si le film est raté le spectateur a du moins la consolation que l’ennui ne durera pas…
Bref, les courts métrages gagneraient à être plus diffusés…

Le Cinéma des Cinéastes, à trois pas de la place de Clichy, s’y emploie, en organisant de Novembre à fin Juin des « week-end du court », manifestation qui se décline en 4 thématiques: Portes ouvertes aux cinéastes, Carte blanche aux compositeurs, Le meilleur du court et Séance Dailymotion.


Les dernières Portes ouvertes aux cinéastes, le 11 Avril, en mettaient plein les mirettes en 46 min et pour 4 euros seulement.

Au programme, « Faccia d’Angelo » d’Elsa Amiel, qui met en scène la vraie-fausse mort d’un ancien boxeur, entre souvenirs et hallucinations, dans un noir et blanc à la fois soigné et cru, attentif à rendre les sensations olfactives et tactiles. Un pur chef d’œuvre de 16 min.

Dans un tout autre registre, Valéry Lambert et Laurent Suied nous offrent avec « M’aime pas peur » une histoire drôle et tendre, qui commence comme un western et se termine par un happy end décalé, où les personnages semblent prendre du recul avec la comédie romantique. Cela donne cet échange savoureux *:
(Lui) : « Ca te dirait d’aller voir ma mère Dimanche ?
(Elle) : Bah , ch’sais pas, elle est sympa, ta mère ?
(Lui) : euh…oui, dépressive mais sympa… »

Si le troisième court-métrage, un peu longuet, convainc moins malgré quelques bonnes idées, le quatrième, « (Je t’aime) » de Mathilde Nègre, évite astucieusement les banalités que son titre laissait craindre. On s’attendait à un tête-à-tête niaiseux, quelques entortillements de cheveux et de nombreux silence gênés. On assiste en fait à un traitement audacieux du temps, la rencontre se déroulant à rebours, en commençant par la non déclaration pour remonter ensuite au début de la soirée, impactée pourtant par la fin de l’histoire, la protagoniste se rendant compte qu’elle en pince pour un piètre individu, de surcroît amateur de jeux de mots moisis* :
(Elle) : « Enfin, en ce moment je réalise un film… »
(Lui) : « Tu réalises ? Tu réalises que la vie est dure ?! »


Donc vraiment, courrez-y, il y a encore pas mal de découvertes à faire d’ici la fin du mois de Juin, à commencer par celles que promet la prochaine séance du Meilleur du court, samedi 9 mai à 12h.

En plus à 12h le samedi normalement on fait la lessive ou les courses… Rien qui ne puisse être reporté.


* Citation approximative, mais l’idée est là.