mercredi 6 mai 2009

Recettes des dieux : l’informe et l’esprit

Une exposition étrange et rare, qu’il serait dommage de louper : tous au musée du quai Branly ce week-end, car lundi il sera trop tard !

Statuette zoomorphe magiqe, "nkisi nkondi "(fétiche à clous), population Kongo (Congo)

L’idée de la commissaire de l’expo, Nanette Jacomijn Snoep, est de présenter une « grammaire visuelle » des fétiches, ces objets réceptacles des esprits des ancêtres, investis de leur puissance « magique ». En fonction de l’effet désiré (protection, vengeance etc.) ils adoptent des formes différentes : statuettes percées de clous, enserrées dans un réseau de cordes ou simples sacs. Dans tous les cas il s’agit d’objets vivants, dont l’aspect est modifié par les rituels successifs.

Mais surtout l’expo montre que ce caractère informe des fétiches, causé par leur usage répété, se double dans certains cas d’une indétermination voulue, qui reflète la présence en leur sein des esprits de l’au-delà.

Objet sacré, "boli", population Bwa (Mali)

Ainsi les boliw du Mali, utilisés par des sociétés initiatiques Bwa, sont faits d’un amalgame de matières, terre, projections de cendres, de bière de mil, écorce, placenta…Des restes de corps d’ancêtres se trouvent au cœur de cette recette farouche et secrète qui permet d’obtenir une « chose-dieu »*, en deçà et au-delà de l’objet. Cette forme indéfinissable, inqualifiable, n’a pas d’équivalent en Occident (nos reliquaires sont orfévrés, émaillés, bref « propres » et emploient des matériaux nobles). Le boli présenté dans l’exposition est une masse sombre et craquelée, rugueuse par endroits, lisse à d’autres, semblant se dresser sur quatre petits pieds de bois liés entre eux comme les pattes d’un animal capturé par un chasseur.

La muséographie joue sur cette idée en isolant le boli dans une petite salle sombre comme une grotte, au milieu de laquelle il brille étrangement sous les éclairages : quelques reflets jaunes, d’autres légèrement bleutés. Une toute petite fille entre, suivie de sa mère : « Maman, c’est quoi ce machin ? – Je ne sais pas, je vais voir. » Et la mère d’énumérer les matériaux listés sur le cartel, faute de trouver un nom satisfaisant…

Car le boli ce n’est même pas un objet…c’est un machin, une chose indéfinissable. Comme ces figures de la société Egungun des Yoruba (Nigéria), enveloppées de tissu de la tête aux pieds pour cacher les danseurs qui miment les revenants (egungun). Que dire de cette surprenante carte postale montrant trois danseurs egun, rendus semblables aux ancêtres par leurs costumes, assis contre un mur au soleil, pour se reposer ? Cette photo en dit long sur l’interpénétration des mondes visible et invisible en Afrique, sur la dimension épiphanique de ses rituels.


statuette de divination,"nkisi kula", population Kongo (Congo)

Ces objets se situent entre la matière pure, par les libations continuelles qui les rendent informes ou l’absence d’une structure qui guide le tissu, et l’absolue transcendance, favorisée par l’absence de forme prédéfinie : ces objets sans forme ne représentent ni ne symbolisent les esprits, ils le contiennent, comme le reliquaire contient la relique, ils en sont le véhicule.

D’autres objets rendent plus perceptibles la dimension du rituel : les fétiches à clous, ceux qui sont trop puissants pour être touchés et que l’on promène avec une chaînette, les cornes et sacs de divination pleins de substances magiques, issues des règnes végétal, animal et minéral.

Enfin, pour les enfants, possibilité de confectionner son propre fétiche. A toutes fins utiles…


*J. Bazin, Des clous dans la Joconde. L’anthropologie autrement, Toulouse, Anarcharsis Editions, 2008.

Toutes les photo : musée du quai Branly

8 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour cet article. Je retiens l'idée d'"indétermination", que j'aime bien, renforcée par le flou de ces formes. C'est vrai que l'usage qui détermine ces objets n'a rien de fixe, ils sont autant réceptacles, vecteurs, qu'objets de cultes. Est-ce qu'on peut dire que leur confection elle-même (la naissance de cette matière) participe au processus magique?

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  2. En fait j'ai pas finit de parler. Je reviens sur la comparaison avec l'art occidental. Je suis pas tout à fait d'accord avec le terme d'"objet propre", j'ai en tête certaines statues reliquaires d'auvergne qui ont tellement été touchées qu'elles en ont été êpolie avec le temps, et rendues difficilement identifiables, noircies. Rien à voir avec le caractère "organique" des objets fétiches certes mais l'idée de matière est là. D'autre part, je pense que l'art occidental va bien souvent au-delà de l'objet (pour le Moyen Âge, je ne me prononce pas sur le reste). Regarde sainte Foy de Conques, je défie quiconque de me dire que cette statue n'est pas habitée! Et même "propre", elle est faite de brics et de brocs (de luxe certes), les légendes populaires de Conques font le reste pour en faire un objet bien vivant, "possédé".

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  3. Ah, en écrivant ce §, je me suis dit que tu aurais surement des choses à ajouter sur le sujet! merci pour l'exemple des statues noircies à force d'avoir été touchées. On peut les rapprocher des minkisi nkondi (les fétiches à clous) mais elles restent à mon sens assez différentes du caractère organique qui caractérise certains fétiches.

    L'opposition avec le Moyen Age ne concernait que cet aspect, pas le fait que les objets soit "possédés" ou non. C'est même pour ça que j'ai choisi le terme de reliquaire.

    En passant je précise que par "propre" j'entends matériau non organique, cad stable dans le temps (le bois bouge quand même moins vite que le sang ou le jaune d'oeuf). J'emploie le terme sans jugement de valeur, de même que "noble", à entendre dans le sens de "précieux".

    Pour ce qui est de savoir si la confection de l'objet participe au processus magique, cad à rendre l'objet efficace, j'ai envie de dire oui (à la lueur de mes maigres lumières). il y a souvent 2 aspects à considérer: l'objet doit contenir (ou être composé) des ingrédients magiques (le bilongo chez les Kongo) qui sont activés par un rituel (nouvelle libation, clou planté,...). Mais j'ai aussi vu des fétiches ou l'action semblait prépondérante (exemple : poupée ashanti qui protège les femmes enceintes : on noue une corde autour de la poupée à chaque fois qu'on demande sa protection).
    Bref, c'est pas demain qui je vais réussir à faire un fétiche digne de ce nom!

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  4. Bah oui mais tu me cherches...
    Peut-être peut-on aussi considérer (pour l'occident et de nos jours notamment) les statues qui saignent. Ceci même si le sang contient une forte connotation christique et qu'il est par définition une manifestation divine, du coup non "constitutif" de l'objet.
    Pour les reliquaires, même si la démarche générale est similaire, effectivement le contraste est marqué. L'occident chrétien voit dans le fait d'utiliser des éléments organiques caractère infamant, terrestre voire païen, quelque part incompatible avec l'objet de culte. Mais je suis sûre qu'on peut trouver des exemples quand même.
    Quelqu'un a une idée?
    Sur la question du "propre", je relevais le mot pour préciser que "matériaux non organiques" ne veut pas dire sans vie (et c'est la relique qui donne vie). Mais j'ai bien compris que tu employais le terme pour spécifier la différence fondamentale entre ces matières (et qui est liée au culte).
    Finalement, le plus intéressant dans tout ça c'est peut-être la "presque absence" d'image dans ces objets sans forme. Je dis presque parce qu'il me semble tout de même qu'on distingue des pieds (?) et une silhouette (ou une forme phallique? je sais pas) dans les deux photos. Je parle ici d'image non pas en terme de peinture mais bien en tant que forme identifiable, "image-objet" comme le disent les médiévistes, voire "image-corps". Les reliquaires chrétiens, s'ils ne prennent parfois pas de formes particulières, ils véhiculent souvent des images par défaut (ou au moins la croix).
    Bref, encore merci pour ce fort stimulant papier.

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  5. j'aime bien "presque abence". ce sont bien des pieds (enfin je crois, à vrai dire ça pourrait être de vulgaires supports) et dans le second cas c'est en fait une statuette recouverte d'un tissu puis ligaturée (certains fétiches sont trop puissants pour être vus "à découvert").

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  6. J'ai beaucoup aimé l'histoire des pièces à conviction dans l'expo. Cette ba,de de voleurs qui se protégeais également avec des grigri...

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  7. ça devait peser, toutes ces protections et objets magiques (celui qui empêche les proprio de se réveiller, celui qui permet au voleur de ne pas faire de bruit...)!

    Des pièces à convictions peu banales...

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  8. Voilà une exposition qui s'annonce effectivement passionnante.

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