samedi 31 octobre 2009

Expo "Cure" : l'art contemporain à l'hôpital de Villejuif





Les pillules miracles de Dana Wyse


Jusqu’au 15 novembre, le hall du Centre Hépato-Biliaire de l’hôpital Paul Brousse à Villejuif présente, sagement rangés dans des vitrines, des remèdes d’un genre nouveau, ceux de l’exposition Cure. Cette cure est proposée aux patients en attente d’une consultation, à ceux qui les accompagnent comme aux malades qui séjournent dans le bâtiment – d’un authentique style futur-antérieur, très futuriste naguère, à présent très passé de mode avec son revêtement de marbre noir et le jardin de graminées desséchées qui l’entoure.


Les bagues-pansements et le kit de bagues à réaliser soi-même de Benjamin Lignel

Il s’agit d’une cure qui se fonde sur le décalage pour engendrer le rire : « les angoissés pansent leurs plaies par les rires » (Victor Urgo). Les maux sont traités par des mots, les artistes pensent pour panser. Glissement de l’abstrait au concret, du psychologique au physiologique, de l’essentiel au superflu. Comme les guérisseurs des siècles derniers, les artistes de l’exposition possèdent des remèdes pour tout. Dana Wyse soigne l’âme en s’attachant au corps, grâce à ses pillules miraculeuses – pour toutes les occasions : « Convert to judaism », « Instant orgasm pills », « Happy childhood memories » ou encore « Understand the meaning of life ». Francine Flandrin F2 propose une solution aussi simple que concrète à un épineux problème de société avec sa Rallonge pour l’emploi. Benjamin Lignel propose quant à lui de joindre l’esthétique à l’utile avec ses pansements bagues – Happy Family NHS. Qui a dit que qu’on ne pouvait pas être à la fois malade et élégant ?


Le Colt du fémur du Docteur Courbe et la Corde à sauter d'Eric Pougeau

Mais légèreté ne signifie pas vacuité. La corde à sauter d’Eric Pougeau, où la ficelle est remplacée par du fil barbelé, évoque plus des camps, des enfances troublées que la rééducation des sportifs. La Rallonge pour l’emploi de Francine Flandrin F2, rallonge électrique enroulée sur elle-même comme un serpent, se dresse, charmée par le doux son du pipeau politique. Derrière l’amusant jeu de mots Colt du fémur, le Docteur Courbe, en substituant deux extrémités de fémur aux pistolets, rappelle brutalement la finalité mortifère de l’arme à feu. Inquiétante pour d’autres raisons, la balance de Fridgeed (Nils Thornander et Mildred Simantov), douée d’empathie, invite le patient à une étreinte mélancolique autant que clinique, parodie des romans à l’eau de rose. « Viens sur moi. Je veux sentir le poids de ton malheur », dit la délicate écriture dorée qui orne le plateau. La traditionnelle pesée corporelle cède la place à celle de l’âme, avec l’espoir que de la quantification du malheur découlera un traitement et une posologie. Par exemple : à partir de 40 kg de malheur, 2 comprimés par jour pendant une semaine, à renouveler si nécessaire. A partir de 70 kg, passer à 3 comprimés.

A la différence des potions miracles colportées de village en village au Moyen-Age et à l’Epoque Moderne, sujets des tableaux de Gérard Dou et de ses suiveurs, celles de l’exposition Cure ont un effet garanti : un rire pas nigaud et indolore.

Hall du Centre Hépato-Biliaire de l’Hôpital Paul Brousse, 12-14 Avenue Paul Vaillant Couturier, Villejuif – Métro Paul Vaillant Couturier.

Pour prolonger le traitement à domicile : “Carnet de Cure”, 52 pages, tout en couleur, tirage limité à 250 exemplaires, matin, midi et soir - préface : Cécile Bulté, conception éditoriale et graphique : Francine Flandrin F2.


dimanche 18 octobre 2009

L’oeil des marchands



L’exposition « Regards de marchands – La passion des arts premiers » s’est refermée ce soir sur des objets d’exception. Les salons de la Monnaie de Paris avec leurs boiseries d’or, leurs miroirs qui multiplient les œuvres, le coin bibliothèque qui invite à la lecture, constituaient un cadre parfait par leur luxe discret et confortable, évoquant la demeure d’un riche collectionneur.

Epingle Zoulou (photo issue du dossier de presse)


Le Hei tiki, sur l'affiche de l'exposition

Dans cette collection idéale, plusieurs pièces archétypales, comme cette statue Dan représentant une femme debout. Remarquable par son modelé expressif et la beauté géométrique de ses scarifications, elle l’est également par son état de conservation : le pagne de tissu est toujours fixé à ses hanches, les nattes postiches à sa tête. De la même ethnie, un masque de course, dont les grands yeux vides permettent au coureur de voir les aspérités du chemin, conserve les fines tresses de sa coiffure. Sans oublier le monumental fétiche Songyé (R.D. Congo) paré d’une peau d’animal et coiffé d’une corne d’antilope. Il exhibe un ventre gonflé de femme enceinte au nombril évidé pour accueillir le bilongo, la charge magique qui lui confère son efficacité. Des pièces célèbres, comme en exposent les grands musées, mais pas toujours dans un état aussi parfait. C’est le cas de ce hei tiki aux iris de nacre, qu’on dirait tout juste décroché du cou de son dernier propriétaire maori, encore tout empli du mana des générations d’ancêtres qui l’ont porté.

Cuillière Zoulou du musée du Louvre (hors série Connaissance des Arts n°149)

Outre les stars des arts non occidentaux, pour certaines connues de tous, ce sont les pièces plus confidentielles qui donnent toute sa valeur à l’expo. Certaines sont minuscules, tel ce nécessaire à couture Inuit, un cervidé sculpté dans de l’ivoire marin avec sur le dos deux minuscules trous où sont glissées deux petites aiguilles. Aussi esthétique qu’utile, sans oublier les possibles valeurs protectrices ou symboliques de ce type d’animal. Autre exemple de raffinement des objets usuels, cette épingle à cheveux Zoulou, d’une pureté de forme très caractéristique – elle évoque sa grande sœur du Pavillon des Sessions du Louvre, une cuillère anthropomorphisée évoquant un corps féminin. Plus étrange, un tambour à friction de la Nouvelle-Irlande, à mis chemin entre le cocon et l’insecte recroquevillé sur lui-même, cultive ses liens avec le règne animal par ses deux yeux en opercule de turbo. Dans la salle suivante, c’est un tambour à fente bifrons et bicéphale à l’une de ses extrémités qui rappelle l’étroitesse de la frontière entre objets, statues et masques, naturalisme apparent et symbolisme véritable.

Tambour à frictions, Nouvelle-Irlande

Les cartels très précis mais avares en explications invitent à un regard esthétique, hors des considérations historiques et ethnographiques. Après tout, il s’agit de nous faire partager la vision du marchand, amoureux de la belle forme. De toutes les belles formes, proches ou éloignés des canons occidentaux. Comme cet étrange crochet de Nouvelle-Irlande. On reconnaît la parenté de cette grande tête carrée sur-dimensionnée avec les statues malangan, mais l’ensemble est comme lavé de blanc, les opercules de turbo rendus aveugles. Les pics de la partie inférieure – auxquels il doit son nom de crochet – lui donnent un air de colonne vertébrale gigantesque, d’os poli ou de bois flotté. A l’inverse, dans une autre salle, un byeri (statue gardienne de reliquaire) Fang semble s’ennuyer ou rêver, le menton appuyé sur sa paume. Une pièce qui montre que même les typologies d’objets qu’on croit connaître peuvent receler des surprises.