lundi 6 décembre 2010

D’or et de feu, l’art en Slovaquie à la fin du Moyen Age



« De l’or, partout de l’or…Tout est recouvert d’or ! » Telle pourrait être l’exclamation, non pas de Cortés ou de Pizarro, mais du visiteur de l’exposition « D’or et de feu » visible jusqu’au 10 janvier au musée national du Moyen Age à Paris. En présentant des sculptures et panneaux de retables, des pièces d’orfèvrerie et des manuscrits enluminés, elle jette une première lumière sur l’art de la Slovaquie des années 1500, encore méconnu.

A cette époque, la Haute Hongrie – nom que la Slovaquie conservera jusqu’en 1918, à la création de la Tchécoslovaquie – voit affluer les commerçants allemands, qui comptent tirer parti de l’exploitation de ses monts métallifères. On trouve de l’or à Kremnica, du cuivre à Banská Bystrica et de l’argent à Banská Stiavnica. La population des régions orientales augmente, notamment dans le comté de Spis et à Kosice, qui devient la deuxième ville du royaume de Hongrie après Buda, grâce à sa position stratégique sur la route reliant les Pays Baltes et la Pologne à la Hongrie.

La Slovaquie des XVe et XVIe siècles est donc une région prospère, placée au cœur des échanges économiques et artistiques de l’Europe centrale. L’art de l’Allemagne du Sud, de Bohême et de la vallée du Danube constitue l’influence prépondérante, qui véhicule indirectement les modèles italiens. Si, comme dans d’autres régions d’Europe, la gravure est incontestablement un moyen de diffusion des formes et des idées, de nombreux tableaux et statues exécutées en Autriche, Allemagne ou plus loin encore sont visibles en Haute Hongrie où ils sont unis à des oeuvres locales pour former les retables monumentaux qui ornent les églises. Les artistes slovaques pouvaient donc étudier très aisément l’art de leurs contemporains étrangers.


1.
De ces influences naît un art original, mêlant naturalisme des visages et mouvements des drapés, comme chez les sculptures des rois saint Etienne et Ladislas (Comté de Spis vers 1500), ou encore le gigantesque Christ en croix de Kezmarok de maître Paul de Levoca qui fait virevolter les pans du perizonium du Sauveur, annonçant sa résurrection prochaine.

Souvent monumental – le retable de Saint-Jacques de Levoca mesure plus de 18 mètres de haut – l’art slovaque est avant tout théâtral. Au gré des fêtes religieuses, les volets des retables s’ouvraient pour laisser apparaître une humanité plus grande et plus belle, rutilante d’or et chatoyante, au teint rose et frais, dont la sainteté ne pouvait que sauter aux yeux. L’excellent état de conservation des œuvres présentées nous restitue intacte cette impression.

L’étrange sainte Catherine d’Alexandrie du retable de Sainte Catherine de Banská Stiavnica, plus grande que nature, malgré son haut front pur et sa bouche vermeil, dissimule sous les plis puissamment creusés de sa robe un homme coiffé d’un turban qu’elle foule aux pieds. Daté du début du XVIe siècle, ce retable pourrait faire allusion aux bouleversements géopolitiques engendrés par la prise de Constantinople en 1453. Une de ses conséquences sera l’installation de la Diète à Presbourg (ancienne Bratislava) en 1536, après la défaite de Mohács sur les Ottomans. Après la prise de Budapest en 1540, La Slovaquie devient le cœur du royaume de Hongrie. L’assemblée de gouvernement y restera deux siècles.

2.

L’or et l’obsession décorative sont le dénominateur commun des arts de l’époque, accentuant les correspondances entre architecture et orfèvrerie, peinture et sculpture, peinture et orfèvrerie. L’ostensoir-monstrance de Spisská Nová Ves, qui mesure plus d’un mètre de haut, évoque, avec ses trois tours munies de deux niveaux de baldaquins, une construction miniature autour de la lunule qui accueillait l’hostie. La préciosité des calices à décor filigrané ou d’émaux cloisonnés, sertis de pierres précieuses, se retrouve jusqu’à l’arrière-plan des tableaux, où le fond de brocart doré résiste à l’introduction de la perspective, géométrique comme atmosphérique (Flagellation du Christ et Résurrection du retable de la Vierge d’Okolicné, Comté de Spis, vers 1506/1509). L’or envahit même les manuscrits : chartes et antiphonaires sont parsemés de petits cercles d’or, leurs lettrines sont rehaussées de dorures.

1. Vierge d'Annonciation, vers 1480-1490, Velky Biel, église Sainte-Croix.
2. Détail du relief de la nativité dit de Hlohovec, 1480-1490.

2 commentaires:

  1. Un article qui pique ma curiosité sur cet art de métissage. Comment expliques-tu son parfait état de conservation?

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  2. Je ne peux qu'avancer des hypothèses : la moindre agitation sur la question religieuse au XVIe siècle (qui a entraîné des vagues de destructions en Allemagne et aux Pays-Bas), un renouvellement moins rapide (voire pas de renouvellement) du décor des églises, qui a permis à ces retables de demeurer en place dans les églises, plutôt que de finir dans des greniers ou pire encore...

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