dimanche 8 mai 2011

La longue histoire des Dogon (1/2)

1.

Bien souvent, les objets d’art africain parvenus jusqu’à nous ont été récoltés lors de missions d’exploration ou d’ethnographie et ne remontent guère au-delà du XIXe siècle. Les statues, masques et objets du quotidien dogon rassemblés au musée du quai Branly jusqu’au 3 juillet sont donc doublement exceptionnels, par leur ancienneté et leur état de conservation. Mais surtout, leur réunion dans un même lieu rend manifestes les emprunts formels entre populations dogon, pré-dogon et voisines des Dogon. Les Tellem, Niongom et Tombo, qui vivaient en pays dogon avant l’arrivée de ces derniers, sont en effet représentés, de même que des peuples ayant vécu sur le plateau et les falaises ocre de Bandiagara en même temps que les Dogon, Djennenké et N’duleri.

2.
Le visiteur a ainsi devant les yeux un panorama de la création artistique du XIe au XXe siècle dans cette région du sud est du Mali, à l’écart des routes caravanières et hors de portée des empires. Le relief escarpé des falaises de Bandiagara, refuge naturel, a attiré et retenu des populations variées pendant plus de dix siècles. Le temps long de l’histoire artistique est pour une fois visible, et ce dans un même espace géographique. Malgré les inévitables lacunes, c’est un continuum créatif rare qui s’offre au visiteur. Ce dernier peut observer l’importance de motifs iconographiques tels que le cheval ou le crocodile, la figuration ou non de scarifications, de bijoux et de vêtements, la présence ou l’absence d’une patine sacrificielle. Les jeux d’influences entre populations, voire entre villages, deviennent lisibles. Chaque statue se trouve replacée au sein d’une famille d’œuvres et d’un réseau d’emprunts et de réinterprétations qui l’englobent et la dépassent. Nous pouvons soudain appréhender l’avant et l’après de cette figure. Le temps long émerge du sable ocre du pays dogon avec l’histoire de ses statues.



3.

Au nord, l’empire du Ghana pousse dès le Xe siècle les Djennenké à fuir l’islamisation forcée. Leur migration s’achève au XIe siècle dans les falaises de Bandiagara. Au XIVe siècle viennent ensuite les Dogon, du sud cette fois, fuyant l’empire du Mali gourmand en soldats et en esclaves. Leur présence bouleverse la localisation des peuples qui habitent le plateau. Des Tellem, on ignore s’ils furent assimilés par les Dogon, ou bien chassés vers une zone plus reculée de la falaise de Bandiagara. Les Dogon les considèrent comme leurs ancêtres, comme un peuple très puissant qui détenait le pouvoir de voler dans les airs et surtout de faire tomber la pluie. Cette interprétation mythique des Tellem s’appuie sur une base réelle : nombre de statues Tellem ont été retrouvées dans des lieux difficilement accessibles. Par ailleurs jusqu’aux XI-XIIe siècles le pays dogon bénéficiait d’un régime des pluies plus abondant, qui favorisait l’agriculture. La situation changea brusquement et la sécheresse s’installa. Les nouveaux venus sur la falaise attribuèrent ce changement climatique à la disparition des Tellem, en qui ils virent par ricochet les heureux habitants d’un âge d’or, doués de pouvoirs magiques, proches des premiers ancêtres Dogon, ces huit jumeaux descendus sur terre dans une arche tirée par un cheval. L’arche se brisa avant de toucher le sol et sous la violence du choc le corps serpentiforme des ancêtres se rompit en plusieurs points. Les articulations étaient nées, rendant possible l’agriculture et la danse.

4.

Certaines statues Niongom donnent une image saisissante de ces ancêtres hermaphrodites – variante des jumeaux de sexes opposés – dont le corps sans structure ondule au rythme des sinuosités de la branche dans laquelle il a été taillé. Les bras levés des statues Tellem seront repris dans la statuaire dogon, peut-être en espérant que cette posture était magique, c’est-à-dire efficace, susceptible de faire tomber l’eau tant désirée. Les Dogon utilisaient également des « accroche nuages », objets en fer, matériau réputé magique, qu’ils plaçaient sur le toit des habitations. De la magie supposée à la prière dont le résultat est incertain, l’histoire des peuples de la falaise suit celle du climat sous lequel ils vivent, en poésie et pragmatisme.



Autre indice de la puissance surnaturelle prêtée aux peuples les ayant précédés sur la falaise, cette anecdote concernant la découverte par Denise Paulme d’une statue Niongom au fond d’une case, enterrée jusqu’au cou dans le sol. Malgré ce désintérêt apparent, les habitants du village refusèrent de toucher l’objet, expliquant qu’il se trouvait là avant leur arrivée. Respect et crainte entouraient encore la statue plusieurs siècles quoiqu’elle ait cessé d’être utilisée.
5.


La suite demain les amis !


Photo de l'exposition du musée du quai Branly :

1. Gros plan de la statue Niongom découverte aux trois-quarts enterrée par Denise Paulme, XVI-XVIIe siècles
2. Statuette Tellem
, XIV - XVe siècles
3. Statuette de cavalier Djennenké, XIV - XVe siècles
4. Statues Niongom, dont celle découverte par Denise Paulme,
XVI-XVIIe siècles
5. Statuettes Tellem aux bras levés représentant probablement les couples de jumeaux hermaphrodites, ancêtres mythiques, XVe siècle, musée Dapper.

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