dimanche 19 juin 2011

Monumenta IV : le Leviathan d’Anish Kapoor



Cette gigantesque œuvre polymorphe n’usurpe pas son nom, référence à un monstre de l’Enfer chrétien. Monstrueuse, elle l’est à plus d’un titre. Par ses dimensions tout d’abord, car elle semble à l’étroit dans l’immense Nef du Grand Palais, longue pourtant de deux cents mètres et culminant à quarante-cinq mètres sous le dôme. Par son altérité surtout, car cette gigantesque toile de PVC rouge sombre, gonflée d’air, qui étend ses protubérances bulbeuses, lisses et brillantes, dans toutes les directions afin de mieux prendre possession de l’espace de la Nef, ne ressemble à rien de connu, à rien de concret. Avant que la structure soit gonflée, Anish Kapoor et ses assistants ignoraient si la chose était possible, en l’absence de précédent de cette taille. Quinze tonnes de tissu gisaient inertes, recouvrant de leurs fins plis le sol de la Nef comme une coulée de lave à peine solidifiée ou la croûte de sang d’une blessure démesurée, attendant qu’un souffle leur donne vie et forme.






Cet objet monumental, trop grand pour l’espace qui l’entoure, et qui semble pouvoir grossir encore jusqu’à briser le verre du plafond, il faut en faire le tour pour appréhender correctement sa forme, tant son échelle est loin de la nôtre. Le meilleur point de vue, le seul qui soit global, demeure inaccessible, à moins d’être un oiseau et d’observer l’œuvre d’en haut. Les spectateurs, le nez à ras de terre comme de minuscules fourmis, ne peuvent que déambuler entre les jambes de la bête assoupie, entre curiosité et crainte.





Forme contenue, comme jadis les bulles d’air emprisonnées dans la résine [1], Leviathan est également une forme contenant, sculptant un espace au sein de l’espace. Comme Jonas avalé par la baleine, le visiteur est invité à pénétrer dans les entrailles du monstre. Chaleur, obscurité, sons étouffés l’accueillent alors, tandis qu’il découvre autour de lui une membrane rouge clair, couleur de l’intérieur de notre corps, dont les méandres se dérobent à sa vue. L’œuvre en cache une seconde. Envers et endroit. Ce n’est qu’en sortant, en jaillissant au jour, que le visiteur se rend compte qu’il vient de sortir du corps de la mère, du cocon doux, clos, rassurant et inquiétant à la fois.










A un journaliste qui lui demandait ce qui faisait de lui un sculpteur et quelle en était la définition à une époque où la taille directe n’était plus la règle, Anish Kapoor répondit « Je crois que je sais ce qu’est l’espace. Je pense que le travail d’un sculpteur est spatial autant que formel. » [2] Leviathan en est une illustration magistrale, à découvrir jusqu’au 23 juin.





[1] Resin, Air, Space, 1998.

[2] Entretien avec John Tusa, BBC Radio 3, 2005. Cité in Je n’ai rien à dire. Entretiens avec Anish Kapoor, RMN / Grand Palais, 2011.

2 commentaires:

  1. Kapoor est un artiste contemporain qui crée des oeuvres d'une incroyables accessibilités. On ne peut être que touché. J'ai vraiment eu le sentiment d'être au cœur de la bête...

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